Sylvain Besson, rédacteur en chef adjoint et journaliste d'investigation au Temps
Publié le 7 avril 2018
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Après des mois de punitions et de recadrages infructueux, la classe la plus pénible du Cycle de Pinchat a fini par exploser. C’était en janvier dernier.
A bout de nerfs – certains ont craqué, voire pleuré – les enseignants de la 1011 CT ont pris une décision radicale: dissoudre la classe et disperser sa douzaine d’élèves dans le reste de l’école, située à la lisière sud de Genève, entre Carouge et Veyrier.
«Les élèves ne se respectaient pas entre eux et discutaient systématiquement les directives des enseignants, raconte le directeur de Pinchat, Alain Basset. Ils demandaient: «Pourquoi je devrais travailler? Pourquoi je devrais arrêter de discuter?» Malgré l’intervention d’un coach extérieur, «on a constaté que ça n’allait plus du tout», résume-t-il.
Le cas est extrême, mais partout en Suisse romande, des situations semblables se produisent. Notamment dans des classes de 12-15 ans, placés au bas de l’échelle scolaire, qui se sentent méprisés par le système. Et qui, par représailles, font subir l’enfer à leurs profs.
Des classes infernales
Dans la 1011 CT, «les élèves lançaient aux profs des remarques du style: «Allez vous faire foutre. J’en ai rien à cirer», raconte une personne qui connaît la situation.
L’essentiel des troubles est attribué à un noyau dur de filles en colère, qui ont cumulé les sanctions – jusqu’à 10 jours d’exclusion du cycle. Le jour même de la dissolution de la classe, trois élèves se sont fait expulser du cours. Dès la première heure, face à un prof remplaçant, l’une des «meneuses» avait refusé de travailler en déclarant simplement: «J’ai pas envie.»
«Mes collègues qui s’occupaient de cette classe revenaient épuisés, raconte Juliane Bourgeois, une professeure de français et d’histoire à Pinchat. Pendant 45 minutes, les élèves parlent, ne vous écoutent pas, ne s’asseyent pas, crient.»
Après une énième journée d’avanies, les profs ont voulu créer un choc psychologique en dispersant la classe. L’action est, paraît-il, sans précédent. Mais elle a provoqué peu de réactions parmi les autres enseignants de Pinchat.
«On n'en a pas tellement parlé entre nous, confie l’un d’eux. On est tellement confrontés à ça que ça ne nous sort pas de notre quotidien.»
Le piège des niveaux
A Genève, le cycle d’orientation, école obligatoire pour les 12-15 ans, est divisé en trois «regroupements», du plus faible au plus fort: R1, R2 et R3. Ces niveaux deviennent ensuite CT (communication et technologie), LC (langues vivantes et communication) et LS (littéraire et scientifique). Mais la réalité scolaire reste la même: les élèves les plus faibles vont en R1 puis en CT, les meilleurs en R3 puis en LS.
A Pinchat, sur 636 élèves en mars 2018, on ne compte qu’une quarantaine d’élèves de R1/CT. Soit quatre classes seulement, en comptant celle qui a été dissoute en janvier. Mais elles concentrent les difficultés.
«Ce sont effectivement des classes très difficiles, où l’on n’a plus beaucoup l’occasion de réellement enseigner, constate Nadège Salzmann Hirsch, membre des femmes PLR genevoises et professeure à Pinchat. On passe souvent l’heure à faire de la discipline, à tenter de gérer. On a parfois l’impression que c’est simplement mieux qu’ils soient là que dans la rue, c’est le seul sens que l’on trouve.»
Le syndrome qui affecte les R1/CT tient en quelques mots: «Difficultés d’apprentissage, démotivation, ce qui se traduit par le dénigrement du prof, déficit d’attention, agressivité et insolence, manque total d’implication – ils ne sont juste pas là», décrit Christine Agassis Zink, une spécialiste des chevaux qui aide des enseignants de ces classes turbulentes.
Avant 2011, le cycle genevois ne connaissait que deux niveaux. La nouvelle organisation, avec ses trois strates, a accentué les problèmes de discipline, en créant des classes chimiquement pures d’élèves en difficulté.
«Quand il y a trois étages, vous êtes à la cave, vous n’êtes plus seulement au rez», estime Salima Moyard, coprésidente du syndicat des enseignants du cycle. «Ces élèves ont une image extrêmement dégradée d’eux-mêmes. Ils disent: on est nuls, on n'est que des R1, on n'arrivera à rien. Du coup, faire passer un contenu est un vrai défi.»
20 à 45 minutes de discipline
A Pinchat, les cours débutent par un rituel. Dans la classe, les élèves se mettent debout derrière leur pupitre, veste posée, en silence, pour saluer leur prof. Cette simple séquence peut durer 15 secondes – ou tourner au calvaire. Tenter d'obtenir le calme prend alors 15, 20, voire 45 minutes, jusqu'à engloutir l'entier du cours.
«D’abord, il faut qu’ils sortent leurs affaires, détaille Nadège Salzmann Hirsch. Il faut parfois dire à chacun individuellement: «S’il te plaît, sors tes affaires», en l’appelant par son prénom. Ensuite, il y en a un qui s’assied parce qu’il en a marre, un autre qui ouvre la fenêtre, un qui relance les conversations… Et quand enfin on dit «Bonjour, asseyez-vous, sortez vos dossiers», ça relance le bruit.»
«Pour leur faire enlever leur veste, il faut négocier, ajoute une autre enseignante. Les élèves essaient de discuter: «Je vais avoir froid si je l’enlève.» Et pendant que tu veux recadrer ça, les autres commencent à manger, ils ont les poches pleines de bonbons, de chips.»
La situation de Pinchat n’a rien d’exceptionnel. Les autres cycles genevois connaissent peu ou prou les mêmes problèmes. Et ils se retrouvent dans le reste de la Suisse romande, même si c’est à un degré moindre.
«J’interviens dans tous les cantons romands et je constate qu’il y a des situations difficiles un peu partout, aussi bien dans les classes primaires que secondaires, à Fribourg, Neuchâtel, en Valais, dans le Jura», constate Jean-Claude Richoz*, un coach spécialisé qui a travaillé à Pinchat pour recadrer la classe 1011 CT.
«Dans certains établissements secondaires urbains, comme à Genève ou à Lausanne, c’est parfois plus extrême et il devient difficile d’enseigner. Certains élèves très peu scolaires, ou qui ont eu un parcours compliqué, posent des problèmes difficiles à résoudre.»
* Auteur du livre Gestion de classes et d'élèves difficiles, Lausanne, Favre, 2015.
Familles désintégrées
Derrière ces classes ingérables se cachent parfois des situations sociales très dures. «J’ai vu des élèves venir en classe avec des bleus, témoigne une enseignante, d’autres qui s’occupent de trois, quatre ou cinq frères et sœurs en bas âge, j’ai même eu un élève qui amenait ses affaires dans un carton.»
L’éclatement de la cellule familiale joue souvent un rôle clé. Exemple parmi d’autres à Pinchat: un élève en mauvais termes avec sa mère, dont le père est absent, qui vit chez sa grand-mère et présente une agitation anormale, se levant sans cesse et perturbant la classe avec de petits bruits.
«Ce que je vois le plus en ce moment, ce sont des familles monoparentales, où le parent doit trouver un travail très vite suite à une séparation, constate le directeur de Pinchat, Alain Basset. Beaucoup de familles cumulent plusieurs boulots, par exemple un temps partiel mal rémunéré, plus un autre le soir pour faire bouillir la marmite.»
A Pinchat, beaucoup d’élèves de R1/CT sont d’origine étrangère: Portugal, Espagne, Amérique du Sud, Kosovo, Balkans, voire pays arabes… Leurs parents parlent parfois mal français et ne peuvent pas aider pour les devoirs – une proportion de dix devoirs non faits sur douze n’est pas exceptionnelle.
Même assister aux réunions de parents d’élèves est un défi pour eux, «surtout parce qu’ils travaillent le soir et n’osent pas en parler à leur patron, explique Alain Basset. Ça concerne par exemple les agents de sécurité ou de nettoyage, les concierges, les personnes qui travaillent à l’aéroport ou même dans les magasins.»
Géographie d'une crise
Pourtant, Pinchat n’est pas une école pour défavorisés. Perché au rebord d’une falaise qui domine Carouge, le complexe scolaire se situe à la frontière de deux mondes. Sur le plateau, des quartiers de villas à l’ambiance presque campagnarde. En bas, une périphérie de cités HLM dont certaines sont plutôt délabrées.
«On peut dire qu’une bonne partie des élèves de R1/CT viennent du bas, et qu’ils doivent monter leur chemin de calvaire jusqu’au cycle, résume Jean-Michel Bugnion, directeur de Pinchat ad interim en 2012 et candidat PDC au Grand Conseil. C’est sur ce chemin qu’une partie des tensions, des frustrations s’exprime.»
Tôt le matin, et en fin d’après-midi, des flots d’élèves montent et redescendent le chemin des Moraines par petits groupes, encapuchonnés, portable en main, avec parfois une enceinte portative crachant du rap. Des exclamations très crues fusent dans le brouhaha:
— «Ferme ta gueule, en plus déjà tu schlingues»;
— «On s’en bat les couilles»;
— «Nique ta mère»;
— «Putain».
Le chemin est connu pour être le lieu où se passent des bagarres. Plus récemment, il est devenu le théâtre d’une coutume brutale. Les élèves dont c’est l’anniversaire se voient barbouillés par surprise de farine et d’œufs jetés par leurs camarades. Une lettre a été adressée aux parents pour interdire cette pratique, sans la faire cesser complètement.
Pinchat a longtemps eu la réputation d'être un cycle plutôt bourgeois. Mais son statut s'est dégradé: «Pinchat aurait une mauvaise image/réputation avec des bagarres régulières et de la méchanceté», note le procès-verbal de l'assemblée des délégués d'élèves du 22 mai 2017.
Sans nier la survenance de bagarres occasionnelles, son directeur, Alain Basset, estime qu’il y a des problèmes plus graves. D’abord le cyberharcèlement, ces insultes et menaces diffusées par les réseaux sociaux, surtout le soir ou la nuit. Ensuite la phobie scolaire: «Des élèves n’arrivent plus à aller à l’école. Certains font le chemin mais repartent aussitôt, en disant qu’ils n’arrivent pas à rester en cours.» Le problème toucherait surtout des élèves en difficulté, notamment ceux de R1/CT.
Le rêve brisé d'André Chavanne
La ségrégation scolaire, si lisible aujourd’hui, est aux antipodes des idéaux fondateurs du cycle. Si Pinchat a été placé à la frontière des quartiers et des classes, c’était, à l’origine, pour mieux les brasser – jusqu’à effacer les barrières sociales.
Pinchat a été le second cycle construit à Genève, en 1964-1965, la grande époque d’André Chavanne, conseiller d’Etat qui dirigea l’Instruction publique de 1961 à 1985. «La volonté de Chavanne était la mixité», rappelle Christoph Bollmann, ancien architecte et animateur de radio, qui connaît parfaitement le quartier de Pinchat. «La République voulait niveler les classes sociales. Chavanne était un socialiste et, dans son idée, les milieux aisés et moins aisés devaient se confronter, pour que la ploutocratie ne se perpétue pas à l’école.»
André Chavanne rêvait d’un cycle sans niveaux, dit «hétérogène». Il pensait que ce système ouvert finirait par s’imposer. Mais en 2011, après des années de guérilla entre partisans des niveaux et tenants des classes hétérogènes, le peuple genevois a approuvé un compromis: des séparations nettes entre élèves forts, moyens et faibles, comme voulu par la droite, mais avec des passerelles permettant le passage entre les couches, pour amadouer la gauche.
A Pinchat, huit élèves de R1 ont ainsi pu passer en R2 (le niveau moyen) depuis le début de l’année. Mais ce système hybride est source d’effets pervers, argumente l’ancien directeur Jean-Michel Bugnion: «L’élève de R1 a un sentiment d’échec, mais il peut être rédempté, sauvé. Beaucoup ont une forte attente de passer au niveau supérieur. Une minorité y arrive après trois mois, un an. Et ceux qui restent? Eh bien, ils sont damnés! L’élève se dit alors: «Il faut bien qu’on m’admire d’une façon ou d’une autre puisque à l’école je suis mauvais. Et comment devient-on populaire? En faisant rire, d’abord au détriment des profs.»
Profs en rupture
Le corps enseignant n’a pas été formé pour affronter ces classes rebelles. Ses représentants sont en majorité des universitaires, éloignés des réalités sociales qui nourrissent le mal-être de leurs élèves. Pour beaucoup, le choc est rude, parfois dévastateur.
Dans un sondage diffusé en 2017, le Syndicat des enseignants romands faisait état d’un «épuisement professionnel et d’un ras-le-bol toujours plus grands» de ses membres. A Genève, 65,7% des profs répondaient avoir «souvent» ou «très souvent» l’impression de «devoir tenir le coup en période scolaire», à la limite du burn-out.
Juliane Bourgeois connaît cette situation. Durant deux ans, à Pinchat, elle a enseigné treize heures par semaine à une classe de 9e R1. Une expérience qui l’a à chaque fois épuisée et forcée à se mettre à l’arrêt durant un mois. «Avec ces classes, on ne peut pas se permettre une seconde de répit, explique-t-elle. Il faut toujours les reconcentrer, les remotiver, les ramener sur le sujet en cours… C’est un peu comme de tourner à fond, en voiture, en première. Si vous faites ça trop longtemps, le moteur explose!»
Jean-Claude Richoz, le coach pour classes difficiles, rencontre chaque semaine des profs épuisés et qui n’en peuvent plus nerveusement: «Je travaille dans une école avec un groupe, et tout d’un coup, alors qu’on parle d’une situation de classe, l’enseignant concerné craque et se met à pleurer.»
Les classes les plus difficiles exigent un profil d’enseignant particulier. Fort, confiant, prêt à nouer un lien affectif avec ses élèves. Capable, aussi, de garder son calme quand on le provoque, pour éviter «l’escalade symétrique»: l’enseignant demande quelque chose («Pose ton téléphone, s’il te plaît»), l’élève refuse, l’enseignant insiste, l’élève l’injurie («J'te casse la gueule, pauvre conne!»), le ton monte quasiment jusqu’à en venir aux mains.
Certains arrivent à digérer ces situations, d’autres pas. «Vous avez énormément de profs qui sont à l’aise avec ces classes, mais quand vous n’êtes pas formé, pas volontaire, vous êtes rapidement en difficulté et ça peut être extrêmement fatigant», commente l’ancien conseiller d’Etat genevois Charles Beer, qui a mis en œuvre la dernière réforme du cycle en 2011.
Depuis, les réseaux sociaux et les smartphones ont changé le rapport de force au détriment du corps enseignant. Un professeur de Pinchat s’est ainsi retrouvé piégé par ses élèves, qui l’ont provoqué en classe pour l’énerver et filmer en cachette sa réaction. «Ça s’est bien terminé, le film a été effacé et l’élève a été sanctionné», assure toutefois le directeur Alain Basset.
Solutions de secours
Pour aider le personnel, des formations ont été mises en place. Elles se nomment discipline positive, médiation culturelle, dialogue philosophique… A Pinchat, il n’est pas rare qu’une classe turbulente soit encadrée par deux enseignants. Pour réapprendre à «poser le cadre», certains cycles ont recours à des coachs externes.
Mais l’offre la plus surprenante, proposée depuis quelques années par le Département genevois de l’instruction publique, s’intitule «Comment ajuster notre posture et trouver la juste distance intérieure face à des classes difficiles grâce à la rencontre avec un cheval».
Apprivoiser des adolescents rebelles en s’initiant au dressage? Christine Agassis Zink, l’équipédagogue qui donne ce cours, explique son approche: «Face à ces classes entraînées par des éléments perturbateurs, on se retrouve comme face un cheval: il est plus fort que vous, imprévisible et potentiellement incontrôlable.»
Selon elle, «les profs qui sortent de l’université vivent parfois dans un monde privilégié, préservé de la violence. Ils ont de la difficulté à se faire entendre, à être respectés, à avancer dans le programme. Ils se sentent démunis et impuissants. Ça fait vingt ans que j’accompagne des enseignants, et j’ai pu observer en parallèle l’évolution de l’enfance. Beaucoup de parents sont dans l’incapacité de donner un cadre cohérent.»
Face à la démission de certaines familles, la définition traditionnelle du métier d’enseignant – transmettre un savoir – devient obsolète. «Ce dont ces élèves ont besoin, c’est d’éducateurs bienveillants», estime Christine Agassis Zink.
Après le cycle, la voie de garage?
Indiscipline, faible niveau scolaire, profs laminés… Ces problèmes ne sont pas sans conséquences pour la suite. A Genève, les élèves les plus faibles du cycle alimentent, quelques années plus tard, le décrochage scolaire.
Le phénomène se joue en deux temps. A la sortie du cycle, les élèves les moins bien notés tentent de se diriger vers un apprentissage. Mais ils se heurtent souvent à un mur. Trop jeunes, sans formation pratique, «ils ne correspondent pas aux exigences des entreprises, analyse François Rastoldo, du Service de la recherche en éducation (SRED). Ils sont coincés entre l’école, où ils n’ont pas accès en raison des notes, et les entreprises qui ne veulent pas les embaucher.»
A Genève, l’économie tertiarisée laisse peu d’options aux jeunes les moins scolaires. «Pour accéder aux banques, régies, assurances, bonne chance! Le niveau d’exigence a beaucoup augmenté», ajoute François Rastoldo.
De plus en plus, ces élèves se dirigent donc vers des «boucles de transition»: des classes préparatoires censées les amener vers des formations à leur portée, comme l’Ecole de culture générale (ECG), qui forme notamment aux métiers de la santé, ou le Centre de la transition professionnelle, destiné aux métiers industriels ou manuels.
Le nombre d’élèves orientés vers ces «boucles» a doublé entre 2000 et 2016, passant de 7% à 15% des adolescents qui sortent du cycle. Mais le taux d’échec des classes préparatoires est très élevé – environ 50%. Résultat: ceux qui sortent sans formation ni place d’apprentissage de cette transition sont des centaines chaque année – quelque 330 en 2013, selon les chiffres du SRED.
Pour l’autre moitié de postulants, ceux qui réussissent à entrer à l’ECG, l’enjeu va être de «se bouger pour trouver une place, pour définir un projet», résume Isabelle Godot, directrice de l’ECG Ella-Maillart, au centre de Genève. «Beaucoup de ces gamins ne voient pas de sens à ce qu’ils font, observe-t-elle. Souvent, ils n’ont pas redoublé, mais le système les a poussés, et ils ont continué leur parcours sans qu’on leur dise: «Stop, ça ne va pas.»
Vers un autre enseignement
Pour mieux cadrer puis orienter ces élèves, il faudrait un enseignement différent. Une formation concrète, plutôt qu’un savoir scolaire au rabais. «Il faudrait s’ouvrir beaucoup plus à des profs orientés vers l’éducation et des projets d’apprentissage», estime l’ancien conseiller d’Etat Charles Beer. Une évolution pour l’instant impossible: «On n'arrive pas à diversifier, vu les exigences requises. Pourtant, la recherche d’apprentissage devrait être prioritaire en toutes situations.»
Avec la dernière réforme du cycle, le temps consacré aux disciplines pratiques – musique, dessin, travaux manuels – a baissé. Les élèves de R1/CT sont bombardés de mathématiques, d’allemand et de français, dans une tentative désespérée de «faire le programme». Alors que selon Jean-Michel Bugnion, il leur faudrait «plus de liberté pour monter des projets, pour responsabiliser ces classes».
Interrogée par Le Temps sur la situation au cycle, l’actuelle ministre genevoise de l’Education, Anne Emery-Torracinta, partage le constat général d’échec en ce qui concerne les élèves les plus faibles. «On est loin du compte en termes d’apprentissage scolaire de base. Et ça, c’est très inquiétant», déclare-t-elle dans un entretien que nous publierons en intégralité ce lundi 9 avril sur notre site et dans notre édition de mardi 10 avril.
La magistrate promet de lancer une réforme du cycle – à condition, bien sûr, d’être réélue au Conseil d’Etat, lors de l’élection qui se déroulera les 15 avril et 6 mai.
Mais même si une réforme est mise en route, elle prendra du temps. Pour changer la loi actuelle, il faudra des débats au Grand Conseil, suivis d’un éventuel référendum. Autant dire des années de travail, avec des chances de succès incertaines.
En attendant, les cycles devront gérer leurs classes infernales. Avec, parfois, des signes encourageants. A Pinchat, la classe de 1011 CT est en voie de reformation avec les élèves les mieux disposés. Et même ceux qui sortent des classes les plus faibles peuvent rebondir, assure Isabelle Godot, qui en accueille certains à l’ECG: «Ici, c’est un nouveau départ. Certains ont fait des bêtises au cycle et se disent: «Je vais essayer de faire mieux». Mais ce sont des élèves chouettes. S’il y a un cadre bienveillant autour d’eux, ça fonctionne.»