«Qu’est-ce qui se passe? Est-ce que j’ai raison d’avoir peur?» Dans les salles de classe ou au petit-déjeuner, les enfants et les ados disent leur angoisse, et leur difficulté à saisir ce qui se passe maintenant à l’est de l’Europe.
Pour apporter quelques éléments de réponse, Le Temps a décidé de consacrer, à l’intention des jeunes, de leurs parents et du corps enseignant, une édition spéciale pour expliquer, point par point, les tenants et aboutissants de la crise, sous la supervision et avec les conseils de Dominique Dirlewanger, historien et maître de gymnase. Enseignants et élèves peuvent en commander une version papier par email à l’adresse info@letemps.ch, qui peut également être téléchargée en version PDF.
Le Temps a toujours considéré sa mission d’informer en articulation avec la variété de ses lectorats. Cette édition spéciale en est une nouvelle marque.
Luis Lema
Quand Vladimir Poutine, le président de la Russie, a commencé à envoyer des milliers de soldats et de tanks à la frontière de l’Ukraine, beaucoup pensaient qu’il voulait juste faire une démonstration de force. Les deux pays se ressemblent beaucoup et étaient autrefois très proches. De plus, l’Ukraine est un très grand Etat: sa superficie est presque 15 fois celle de la Suisse.
Pourtant, le 24 février, l’armée russe a commencé à entrer en Ukraine et à la bombarder. En vérité, il faut remonter un peu dans le temps: voilà au moins huit ans que les choses se passent mal entre les deux pays. En 2014, les habitants de Kiev, la capitale, se sont mis à réclamer davantage de liberté et des liens plus serrés avec l’Union européenne. Le président ukrainien de l’époque, qui était un ami de la Russie, a même été obligé de s’enfuir.
Peu après, en réaction, la Russie a déjà envahi une partie de l’Ukraine, la Crimée, qu’elle considère comme lui appartenant. Dans une autre région de l’est du pays, le Donbass, une première guerre a éclaté entre ceux qui voulaient se rapprocher de la Russie et ceux qui craignaient que l’Ukraine soit découpée en morceaux. Pendant huit ans, plusieurs pays (dont la Suisse) ont tenté de ramener la paix entre les frères ennemis ukrainiens. Mais ils n’ont pas réussi.
Vladimir Poutine explique maintenant qu’il veut défendre les Ukrainiens qui se sentent davantage russes. Selon lui, ils étaient «menacés» et ils avaient besoin de son secours. Pourtant, il a aussi donné toute une série d’autres justifications qui rendent plus flous ses objectifs réels. Ainsi, il semble que le président russe ne reconnaisse pas vraiment le droit de l’Ukraine à être un pays indépendant de la Russie. Il estime aussi que, si l’Ukraine se rapproche davantage de l’Europe de l’Ouest, et surtout si elle s’incorpore à l’alliance militaire qui regroupe ces pays ainsi que les Etats-Unis et le Canada (l’OTAN), la Russie va se trouver encerclée par des ennemis.
Autrefois, la Russie était un vaste empire qui s’étendait bien au-delà de ses frontières actuelles. D’après ses déclarations, Vladimir Poutine semble considérer qu’il doit garder à tout jamais des liens particuliers avec les autres pays qui composaient cet empire. Mais les Ukrainiens, dans leur très grande majorité, ne partagent pas du tout cette opinion, et ils sont prêts aujourd’hui à défendre leur pays.
Frédéric Koller
Vladimir Vladimirovitch Poutine est âgé de 69 ans. Originaire de Saint-Pétersbourg, il préside aux destinées de la Russie depuis l’an 2000, avec un intermède entre 2008 et 2012 lorsqu’il est premier ministre. Grâce à une révision constitutionnelle, il peut prétendre à deux nouveaux mandats, ce qui lui permet d’envisager de diriger la Russie jusqu’en 2032. C’est un président élu, mais sans véritable opposition, la démocratie russe n’étant plus qu’une façade.
A la fin de l’URSS, son premier emploi était celui d’un espion (agent du KGB). Puis il a grimpé les échelons du pouvoir et s’est imposé comme l’homme de l’ordre dans une Russie en proie à l’anarchie et à la guerre en Tchétchénie à la fin des années 1990. En passant un pacte avec les oligarques (hommes d’affaires), il s’assure de leur soutien en échange d’une grande liberté de commerce à condition qu’ils ne se mêlent pas de politique. Ses méthodes brutales imposent une forme de stabilité au détriment des libertés. Son nationalisme, entretenu par une propagande d’Etat, lui garantit l’allégeance d’une majorité de Russes.
Frédéric Koller
Volodymyr Oleksandrovytch Zelensky est âgé de 44 ans. Il a été élu à la présidence de l’Ukraine en 2019 avec trois quarts des suffrages. Il n’avait alors aucune expérience politique. Sa popularité, il la doit à son passé d’acteur comique. Il s’est rendu célèbre en jouant dans un feuilleton télévisé le rôle d’un professeur d’histoire qui devient un peu par hasard président de la République.
Avocat de formation, Volodymyr Zelensky incarne une nouvelle génération d’Ukrainiens résolument tournée vers l’Occident, son modèle politique démocratique et son mode de vie. Russophone, il a d’abord plaidé pour une amélioration des relations avec Moscou avant de déchanter face à l’impasse du Donbass, une région séparée de l’Ukraine à la suite d’une première intervention des troupes russes en 2015.
Depuis l’invasion totale de son pays, Volodymyr Zelensky incarne l’esprit de résistance et bénéficie d’une très grande popularité. Sa maîtrise des outils de communication lui permet de remporter la guerre de la communication. Vladimir Poutine veut l’éliminer.
Simon Petite
L’intensité et l’ampleur de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe provoquent une catastrophe humanitaire d’une gravité jamais vue en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette attaque est menée par l’une des plus puissantes armées du monde contre un immense pays de 44 millions d’habitants avant l’invasion. Preuve de la violence des combats, déjà 2 millions d’Ukrainiens ont fui dans les pays voisins de l’Ukraine, principalement en Pologne.
La vitesse de cet exode est sans précédent. Il y a déjà davantage de réfugiés ukrainiens dans les pays européens que le nombre de Syriens qui avaient fui la guerre dans leur pays en 2015. On parlait alors d’une «crise» des réfugiés. L’Europe, à l’exception de l’Allemagne, avait fermé ses frontières. L’attitude est aujourd’hui tout autre à l’égard des Ukrainiens. Mais combien de temps les pays limitrophes de l’Ukraine pourront-ils faire face à cet afflux?
La situation est encore plus dramatique à l’intérieur de l’Ukraine. Après avoir échoué à prendre rapidement la capitale, Kiev, pour remplacer le gouvernement ukrainien, l’armée russe a intensifié ses bombardements pour tenter de briser la résistance des Ukrainiens. Les frappes sur des villes densément peuplées font de nombreuses victimes parmi les habitants.
Selon l’ONU, plus de 400 civils ont été tués depuis le début de l’invasion le 24 février. Mais il ne s’agit que des décès qui ont pu être confirmés. Le bilan humain est sans doute beaucoup plus élevé. Et le nombre de morts et de blessés continuera d’augmenter tant que la guerre continuera.
Des centaines de milliers d’Ukrainiens sont coincés dans des villes bombardées. Certaines d’entre elles sont encerclées par l’armée russe. Dans les villes assiégées, la population a de plus en plus de peine à trouver de l’eau potable ou de la nourriture. Des négociations entre l’Ukraine et la Russie continuent, malgré les combats, pour évacuer la population de plusieurs villes. Mais, pour cela, il faut des cessez-le-feu pour que les habitants puissent être évacués.
Denis Delbecq
C’est la première fois qu’une guerre survient dans un pays qui possède autant de réacteurs nucléaires. De plus, le plus grave accident de l’histoire du nucléaire civil s’est produit en Ukraine, en 1986, quand un réacteur a explosé à Tchernobyl et provoqué la mort de nombreuses personnes. Aujourd’hui, près de 2600 km² (la moitié de la superficie du Valais) restent interdits autour du site à cause de la radioactivité. Or cette zone a été envahie par l’armée russe, tout comme la centrale nucléaire de Zaporijjia (six réacteurs), au sud de l’Ukraine.
Une centrale nucléaire utilise un combustible à base d’uranium dans lequel se produisent des réactions de fission: les gros noyaux d’atomes sont cassés en noyaux plus petits, en émettant de la chaleur ainsi que des particules et des rayonnements dangereux, c’est la radioactivité. En fonctionnement normal, cette radioactivité reste enfermée dans le réacteur; très peu est rejeté dans l’environnement. Mais si un accident survient, de nombreux produits dangereux peuvent être rejetés dans l’environnement, notamment de l’iode et du césium. C’est pour cela qu’il est très important que des personnels qualifiés s’occupent des centrales 24h/24, et qu’ils ne soient pas trop stressés pour prendre les bonnes décisions en cas d’incident.
De plus, même à l’arrêt, un réacteur doit être refroidi en permanence car les produits de fission chauffent et émettent de la radioactivité. Une centrale doit donc, coûte que coûte, disposer d’eau et d’électricité. Il y a sur place de nombreux dispositifs de secours, des réserves d’eau et des générateurs électriques qui utilisent du pétrole. Mais il y a un risque que ceux-ci ne puissent pas être utilisés en pleine guerre. En 2011, la centrale de Fukushima avait résisté au séisme et ses réacteurs avaient pu être arrêtés. Mais quand les générateurs de secours ont été noyés par le tsunami, un grave accident est survenu, libérant beaucoup de radioactivité dans l’environnement.
Le fait que Tchernobyl et Zaporijjia soient occupés par des militaires et que les personnes soient obligées de travailler jour et nuit sans être remplacées inquiète les experts nucléaires du monde entier. Un simple incident de fonctionnement pourrait dégénérer en catastrophe. L’Agence internationale de l’énergie atomique a proposé qu’un accord soit signé entre l’Ukraine et la Russie pour garantir que les sites nucléaires ukrainiens soient protégés du conflit. Moscou n’a pour le moment pas répondu à cette proposition.
Camille Pagella
Maria Filipchenko a 13 ans. Elle a grandi dans un village qui borde la ville de Marioupol, dans le sud de l’Ukraine. Depuis près de deux semaines, elle ne va plus à l’école. Comme tous les enfants d’Ukraine, elle est «en vacances». «Mais ces vacances, ne sont pas de vraies vacances, nous ne nous amusons pas.» Le matin du jeudi 24 février, sa maîtresse lui écrit un message: les cours sont suspendus. En Ukraine, la guerre a commencé.
«J’étais choquée et j’avais peur.» Alors, Maria suit les instructions de ses parents. Tous les jours, ils descendent au sous-sol, lorsque les sirènes retentissent, pour se mettre à l’abri. «Le 26 février, la maison de notre voisin a été touchée par un bombardement. Depuis, la nôtre n’a plus de fenêtres, explique Maria. Nous avons essayé de recouvrir les trous pour que le vent et le froid n’entrent pas, mais depuis ce jour-là, nous avons passé les suivants au sous-sol sans lumière, sans chauffage et sans internet.» Dans les airs et au sol, les combats se font de plus en plus proches. Alors, le 1er mars, les parents de Maria décident qu’il est temps de partir, vite.
Depuis, elle est en sécurité. La journée, elle essaie de suivre des cours sur des plateformes en ligne mises à la disposition des écoliers ukrainiens. «Mais ce n’est pas facile de se concentrer, tout le monde autour de moi parle de la guerre et je vois à la télé que ma ville est bombardée. J’aimerais aider, faire quelque chose pour mon pays, mais je n’ai que 13 ans.» Tous les jours, elle essaie d’avoir des nouvelles de ses copains restés à Marioupol, mais c’est compliqué. Dans la ville encerclée par l’armée russe, les réseaux de communication ont été coupés.
A plus de 1000 kilomètres de là, dans l’est de l’Ukraine, Yaryna Yeleyko a 15 ans. Elle est originaire de la capitale, Kiev, et elle aussi essaie de garder contact avec ses copains. Ses parents l’ont envoyée avec ses frères et sœurs chez ses grands-parents, près de la ville de Lviv, où il n’y a pas de combats. «Mais j’appelle mes amis de Kiev tous les jours pour savoir s’ils vont bien et pour qu’on discute d’autre chose que de la guerre.» Yaryna a compris qu’elle ne retournerait pas à Kiev tout de suite, ni à l’école. Elle aussi essaie de suivre les cours mis à disposition en ligne. Son grand-père, un ancien professeur de mathématiques, lui fait ses leçons. «C’est important, parce que plus tard, j’aimerais étudier», souffle l’adolescente. Plus tard, Yaryna aimerait devenir psychologue.
Luis Lema
Le célèbre philosophe Nicolas Machiavel avait eu cette formule: «On commence une guerre quand on veut, on la termine quand on peut.» Lorsque les armées et des états-majors s’en mêlent, les conflits adoptent leur propre dynamique. Ils peuvent prendre des directions que personne n’attendait. On n’est jamais à l’abri d’un dérapage, d’un accident ou d’une mauvaise interprétation. La guerre en Ukraine pourrait-elle encore s’étendre aux pays voisins? Il faut bien sûr espérer l’inverse. Mais les risques sont plus grands à mesure que de plus en plus de militaires et d’armes se concentrent à l’intérieur de l’Ukraine et sur son pourtour. C’est pour cette raison que la diplomatie reste si importante.
Puisque personne ne connaît exactement les objectifs de Vladimir Poutine, les pays de l’OTAN ont acheminé eux aussi des renforts aux frontières. Le but? Montrer que ces pays sont unis pour prévenir une éventuelle attaque supplémentaire de l’armée russe contre un pays voisin. Mais la question se pose aussi de la solidarité à montrer vis-à-vis des Ukrainiens. Faut-il les abandonner à leur sort? L’OTAN constitue, de très loin, la plus puissante force militaire du monde. Mais il est très peu probable que les pays de l’Alliance décident d’entrer officiellement en guerre à leur tour. Il faudrait pour cela une grosse provocation directe de la part de la Russie ou alors le sentiment que les intérêts vitaux de ces pays sont directement menacés.
Il faut aussi garder en mémoire que la France, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et la Russie sont des grandes puissances dotées d’armes nucléaires. Et personne n’a intérêt à ce qu’elles soient employées. Pour reprendre une autre citation célèbre, attribuée à Albert Einstein, qui fait froid dans le dos: «Je ne sais pas comment sera la troisième guerre mondiale, mais je sais qu’il n’y aura plus grand monde pour voir la quatrième.»
Serge Michel
La Crimée est une péninsule sur la mer Noire que tout le monde se dispute. Elle comprend notamment la ville de Yalta, où a eu lieu en 1945 la réunion de Churchill, Roosevelt et Staline pour se partager l’Europe après la défaite de l’Allemagne nazie.
Dans l’Antiquité, elle fait partie du monde grec, puis de l’Empire romain. Au Moyen Age, ce sont les Tatars, originaires de Mongolie, qui règnent sur la Crimée. Puis la péninsule sera conquise par l’impératrice de Russie Catherine II à la fin du XVIIIe siècle, qui la peuple de colons russes et y construit une série de bases navales, notamment Sébastopol. De 1853 à 1856, la péninsule est le théâtre de la guerre de Crimée, qui oppose la Russie aux Turcs et à leurs alliés français et britannique, lesquels tentent de freiner l’expansion russe vers le sud. En 1944, le dictateur russe Staline accuse les Tatars qui restent en Crimée d’avoir collaboré avec l’Allemagne nazie et les déporte en masse en Asie centrale.
En 1954, Nikita Khrouchtchev, le successeur de Staline, «offre» la Crimée à l’Ukraine. Cela ne change pas grand-chose: la Russie et l’Ukraine font toutes deux partie de l’Union soviétique. Mais en 1991, quand l’Ukraine déclare son indépendance, la Crimée va redevenir une source de tensions. En 2014, profitant du désordre qui règne en Ukraine à la suite de la «révolution de Maïdan», Vladimir Poutine envahit et annexe la Crimée à la Russie. Beaucoup de Russes applaudissent: ils ont toujours considéré cette péninsule comme faisant partie de leur pays.
Cela va pousser deux autres régions de l’Ukraine, Donetsk et Lougansk, à prendre les armes pour déclarer leur indépendance. Un front va se créer entre les forces ukrainiennes, qui tentent de récupérer ces territoires, et les séparatistes, aidés par la Russie. En huit ans, ces combats feront 14 000 morts des deux côtés, surtout des civils. Vladimir Poutine a pris le prétexte de protéger Donetsk et Lougansk, où les gens parlent russe en majorité, et non ukrainien, pour lancer l’invasion de toute l’Ukraine le 24 février 2022.
Serge Michel
En 2013, l’Ukraine est dirigée par un président pro-russe, Viktor Ianoukovitch, qui renonce en dernière minute à un accord avec l’Union européenne, en discussion depuis longtemps. Il le remplace par un «dialogue actif» avec la Russie. Cela va déclencher des manifestations de masse sur Maïdan, la grande place de Kiev, pendant trois mois. Certains jours, 250 000 personnes réclament dans la rue le départ du président et la signature de l’accord avec l’Europe. Dans la foule, un petit groupe retient l’attention: Pravy Sektor (Secteur droit). Ce sont des militants néonazis qui portent des croix gammées et des ceinturons de la Waffen-SS. Plusieurs sont des criminels ou d’anciens prisonniers. Ils ne sont que quelques dizaines mais sont bien organisés. Quand la police attaque la foule, faisant plusieurs dizaines de morts, Pravy Sektor combat les forces de l’ordre avec une certaine efficacité.
Le président Ianoukovitch finit par s’enfuir en Russie le 22 février 2014. Pravy Sektor en profite pour prétendre qu’il a joué un rôle important dans la «révolution de Maïdan». La Russie, qui soutenait le président, va aussi exagérer le rôle de Pravy Sektor en accusant toute la révolution d’être pilotée par l’extrême droite. Pravy Sektor va ensuite former le «bataillon Azov», qui rassemblera jusqu’à 4000 volontaires pour combattre les séparatistes pro-russes de Donetsk et Lougansk, deux régions du Donbass, à l’est de l’Ukraine, qui ont pris les armes en 2014 pour se séparer de Kiev. Là aussi, le rôle du bataillon Azov sera exagéré par Moscou: c’est surtout l’armée régulière ukrainienne qui affronte les séparatistes.
Au XXe siècle, la guerre contre l’Allemagne nazie a été un immense traumatisme pour la Russie (alors URSS), qui a perdu plus de 10 millions d’hommes. Vladimir Poutine s’appuie donc sur la haine des nazis dans l’imaginaire de son peuple pour tenter de dresser les Russes contre les Ukrainiens. Il ravive aussi le souvenir de Stepan Bandera, un terroriste ukrainien antisémite qui a fondé la Légion ukrainienne en 1941 pour aider la Wehrmacht contre les Soviétiques.
Stéphane Bussard
L’Union des républiques socialistes soviétiques voit le jour le 30 décembre 1922. Au départ, quatre républiques décident de se mettre ensemble: la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie et la Transcaucasie. Avec le temps, l’URSS va comprendre au total 15 républiques, notamment en Asie centrale et dans le Caucase. Elle aura toutefois aussi sous son contrôle plusieurs pays de l’Europe de l’Est dont la Pologne, la Tchécoslovaquie ou encore la Roumanie.
Sous le joug du Parti communiste, l’URSS est dirigée d’une main de fer depuis Moscou. Avec la santé déclinante de Lénine, qui a mené la Révolution russe, c’est Staline qui prend les rênes, devenant secrétaire général du comité central du Parti communiste en 1922 déjà. Il régnera d’une main de fer sur l’URSS jusqu’à sa mort en 1953. C’est sous sa férule que se mettra en place l’organisation communiste de la société soviétique. Cela passe par la collectivisation des terres qui donnera lieu au massacre de millions de personnes. Pour imposer ses vues, le pouvoir soviétique s’appuie sur une police politique, la Tcheka, puis la Guépéou, le NKVD et enfin le KGB.
L’URSS diffère des Etats-Unis et de l’Europe de l’Ouest sur le plan idéologique. La première prône l’économie planifiée ou communisme, les seconds l’économie de marché ou capitalisme. L’opposition entre les deux blocs, occidental et soviétique, prend également une dimension militaire. Une course aux armements s’installe. Les deux superpuissances américaine et soviétique atteindront ensemble un pic de 70 000 ogives nucléaires au milieu des années 1980. Une grave crise entre les deux éclate en octobre 1962, l’URSS voulant installer des missiles à Cuba. Un conflit nucléaire est évité de justesse.
Parmi les autres dirigeants soviétiques, on trouve Nikita Khrouchtchev (1953-1964), puis Léonid Brejnev (1964-1982). Le dernier dirigeant de l’URSS est Mikhaïl Gorbatchev (1985-1991). Il engagera des réformes connues sous le nom de perestroïka (ouverture) et de glasnost (transparence). Ruinée économiquement, l’URSS disparaît le 25 décembre 1991. Lui succède la Fédération de Russie.
Serge Michel
Des jumeaux, Léon et Olga, sont nés en 1944 à Nikolaïev, au sud de l’Ukraine. A cette époque, l’Ukraine et la Russie sont deux républiques membres du même pays, l’URSS. Léon obtient un passeport soviétique avec écrit: nationalité ukrainienne. Sa sœur, née vingt minutes plus tard, aura un passeport soviétique avec écrit: nationalité russe. Cette histoire m’a été racontée par Liouba, la veuve de Léon, réfugiée en Suisse en mars 2022 après avoir fui les bombes dans son pays. Cela montre à quel point Russes et Ukrainiens, qui se font aujourd’hui la guerre, ont été proches.
Le peuple russe, d’ailleurs, vient d’Ukraine. Au IXe siècle, après sa conquête par des Vikings, Kiev devient le centre d’un puissant Etat slave, appelé «Rus», qui va bientôt s’étendre de la mer Noire à la mer Baltique. Mais au XIIe siècle, ce grand territoire se divise entre plusieurs principautés rivales, qui seront toutes attaquées par les Mongols en 1226. Dès lors, c’est chacun pour soi. Au nord, la Moscovie va progressivement se libérer des Mongols et conquérir de nouveaux territoires, notamment grâce au tsar Ivan le Terrible au XVIe siècle. Au sud, Kiev va tomber sous la coupe de la Lituanie, puis de la Pologne. Ses populations seront brassées, avec des Polonais, des Moldaves, des Allemands, des Arméniens, des Juifs, des Russes, des Tatars.
La Russie ne cesse de s’agrandir vers le sud. Au XVIIIe siècle, l’impératrice Catherine II récupère la moitié de l’Ukraine (l’est) alors que l’autre moitié fait partie de l’empire austro-hongrois. Pendant tout le XIXe siècle, un sentiment national ukrainien va grandir, réprimé par la Russie qui interdit la langue ukrainienne, proche du russe et pourtant différente, comme l’italien est différent de l’espagnol. En 1917, profitant du désordre de la première guerre mondiale, un Etat ukrainien est proclamé, qui sera combattu de tous côtés et finalement intégré dans l’Union soviétique en 1922.
Cela va durer soixante-neuf ans, pendant lesquels Russes et Ukrainiens sont cousins et vont se mélanger ou se marier, comme les parents de Léon et Olga. La langue officielle est le russe, mais l’ukrainien reste parlé dans la plus grande partie du pays. En 1991, l’URSS se disloque et l’Ukraine proclame à nouveau son indépendance. La Russie, très affaiblie, ne peut rien faire, mais trente ans plus tard, 20 à 30% des Ukrainiens sont russophones et beaucoup de Russes pensent que Russie et Ukraine sont toujours le même pays. Vladimir Poutine va utiliser cela pour justifier son invasion, au prétexte de «libérer» les cousins ukrainiens.
Richard Werly
Le rôle des diplomates est double. Soit ils parviennent à éviter les crises, donc les guerres. Soit ils arrivent à la fin d’un conflit pour négocier le retour à la paix. Dans le cas de la guerre en Ukraine déclenchée le 24 février par Vladimir Poutine, les ambassadeurs et les négociateurs se retrouvent aujourd’hui tributaires des opérations militaires sur le terrain. Car malgré leurs efforts avant le conflit, celui-ci n’a pas pu être évité. L’échec de la diplomatie vient avant tout de l’incompatibilité des positions défendues par la Russie et par ceux qu’elle accuse de la «menacer»: les pays occidentaux, composés des Etats-Unis, du Canada et des pays européens, tous regroupés dans l’OTAN, leur alliance militaire crée en 1949.
Pour Moscou, l’OTAN, dominée par l’armée américaine, a profité de l’écroulement de l’Union soviétique en 1991 pour s’étendre vers l’est, dans l’espoir de parvenir jusqu’à ses frontières. Vladimir Poutine l’a dit plusieurs fois: l’objectif de l’OTAN était selon lui d’installer des batteries de missiles en Ukraine pour viser la Russie. C’est pour cette raison, affirme-t-il, que l’alliance a décidé en 2008 d’accepter la demande d’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie. Pour les Occidentaux, Vladimir Poutine fantasme et justifie ainsi son désir de pouvoir, et sa volonté de reconstituer l’Empire russe. La preuve selon eux? la guerre menée en Géorgie en 2008 et la reconnaissance de républiques séparatistes, puis l’annexion de la Crimée (territoire ukrainien) en 2014, puis la guerre à l’est de l’Ukraine suivie, maintenant, par l’invasion russe, preuve irréfutable du double jeu de Poutine. Lequel affirme être menacé, mais agresse son voisin et déclenche une guerre meurtrière au mépris de toutes les règles internationales en vigueur.
Les diplomates, en clair, n’ont pas pu parvenir à une solution conjointe. Les accords de Minsk (capitale de la Biélorussie) signés en septembre 2014 après l’invasion de la Crimée n’ont pas tenu. La logique militaire, celle du rapport de force, l’a emporté par manque de confiance entre les deux parties. Depuis le début de la guerre, une autre négociation a commencé entre Ukrainiens et Russes sur les modalités d’un possible cessez-le-feu. Mais rien n’a pu être conclu jusque-là. La diplomatie redeviendra malheureusement possible quand Vladimir Poutine s’estimera assez fort pour négocier, ou qu’il sera obligé de discuter pour sortir du piège ukrainien. Pour l’heure, la priorité est aux combats.
Valérie de Graffenried, New York
L’ONU. Par la voix de son secrétaire général, Antonio Guterres, l’Organisation des Nations unies a bien sûr fermement condamné l’offensive russe en Ukraine. Mais ses effets sont très limités. Pourquoi? Parce que la Russie fait partie des cinq Etats membres permanents du Conseil de sécurité de l'organisation, et qu’elle dispose à ce titre d’un droit de veto. Elle en assurait même la présidence tournante en février… quand la Russie a envahi l’Ukraine. En résumé: aucune décision marquante contre la Russie ne pourra être adoptée par l’ONU. Mais les débats sont vifs!
L’OTAN. Née en 1949, l’OTAN est l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, une alliance politique et militaire qui compte aujourd’hui 30 Etats membres (la plupart des pays européens, les Etats-Unis et le Canada). Le principe de base est simple: si un des pays de l’OTAN est attaqué, les autres viennent à sa rescousse, avec des militaires et du matériel! Mais attention: l’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN. C’est précisément un des enjeux de la guerre. Vladimir Poutine craint un élargissement de l’OTAN à des pays de l’ex-URSS. Les pays membres de l’OTAN sont en état d’alerte, fournissent des armes à l’Ukraine et déploient des militaires dans des pays voisins. L’OTAN dispose notamment d’une force de réaction rapide de 40 000 hommes. Le président américain, Joe Biden, a été très clair: «Les Etats-Unis défendront chaque centimètre du territoire de l’OTAN!»
L’UE. Composée de 27 pays membres, l’Union européenne est actuellement présidée jusqu’en juin par la France. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, vient de demander formellement l’adhésion de son pays à l’UE. Les pays membres ont parfois de la peine à parler d’une seule voix. La France et l’Allemagne ont joué un rôle de premier plan dans la crise ukrainienne. Avec comme but premier celui d’éviter l’invasion de l’Ukraine. Raté. Les nombreuses discussions avec Poutine n’ont rien donné. Place donc aux sanctions agressives, en coordination avec les Américains. Une arme à la fois économique et politique. L’UE a surtout décidé, le 27 février, de faciliter la livraison d’armes létales à l’Ukraine, en débloquant un montant de 450 millions d’euros. Une décision historique!
Frédéric Koller
La Chine est la troisième puissance économique mondiale après l’Union européenne et les Etats-Unis. C’est aussi le principal allié de la Russie. Elle peut donc apporter un soutien très important à Moscou pour contrer l’effet des sanctions occidentales et permettre à Vladimir Poutine de continuer à mener sa guerre. Pékin est toutefois dans une situation inconfortable. D’un côté, les dirigeants chinois sont alignés sur le Kremlin: ils rappellent leur amitié «solide comme un roc», ils refusent de dénoncer une invasion russe en Ukraine, et à l’ONU ils s’abstiennent de voter les résolutions condamnant l’agression russe contre un Etat souverain. Vladimir Poutine peut donc compter sur le soutien de Xi Jinping, le président chinois. Les deux hommes partagent une même lecture de l’histoire, ils sont tous deux à la tête de vieux empires, ils combattent ensemble les idées démocratiques et la domination des Etats-Unis.
D’un autre côté, la Chine reste pourtant attachée à l’idée de souveraineté des Etats et à l’ordre économique existant, qui lui profite. Or Vladimir Poutine met tout cela en péril, ce qui contrecarre les plans de Pékin pour accroître sa puissance. La Chine a par ailleurs de bons liens avec l’Ukraine, qui est un fournisseur important de céréales pour le pays le plus peuplé de la planète. Elle pourrait donc jouer un rôle pour stopper le conflit en Ukraine. Mais rien n’indique pour l’heure que Vladimir Poutine ou Xi Jinping soient disposés à faire taire les armes immédiatement.
Stéphane Bussard
Le président russe, Vladimir Poutine, a annoncé le 24 février que son pays lançait une «opération militaire spéciale» dans le Donbass en Ukraine. Est-ce déjà la guerre? Selon le droit international, une guerre commence au premier coup de feu. Ce sont avant tout les faits sur le terrain qui permettent de déterminer si un conflit armé a éclaté ou non. Actuellement, il ne fait aucun doute que la Russie est en guerre contre l’Ukraine. Mais avec l’avènement des cyberattaques, la définition de la guerre se complique: il n’y a pas de coups de feu, et il est parfois difficile de savoir à qui attribuer ces attaques.
Les guerres peuvent être de nature très différente. Pendant la Première Guerre mondiale, il y eut la guerre de position, la guerre de tranchées. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il fut question de la guerre éclair. De 1945 à 1989, il s’est agi de la guerre froide entre le bloc soviétique et l’Occident, une guerre sans confrontation directe entre les deux superpuissances qu’étaient les Etats-Unis et l’URSS, mais par le biais de «proxies», d’alliés.
Anouch Seydtaghia
Il y a la guerre, atroce, sur le terrain. Et en parallèle, une autre bataille se joue actuellement dans le cyberespace. Car les Russes ne sont pas seulement en train d’envahir militairement l’Ukraine. Ils mènent aussi des cyberattaques contre leur voisin, mais aussi contre de nombreux intérêts occidentaux. Contrairement à ce qui se passe en Ukraine, honnêtement, aucun expert ne peut dire avec précision ce qui se passe dans le cyberespace. Une chose est certaine: les groupes de pirates informatiques qui attaquent depuis des années des entreprises, des administrations ou des particuliers, en s’infiltrant dans leurs ordinateurs, sont majoritairement russes. Ils seraient responsables de 70% des attaques. La Russie est suspectée de ne rien faire pour arrêter ces pirates, voire de les protéger: Vladimir Poutine est même soupçonné de les utiliser pour déstabiliser des intérêts occidentaux.
Cette armée fantôme a massivement attaqué l’Ukraine juste avant son invasion terrestre, en paralysant des sites officiels et en volant des données de citoyens. Mais depuis, il semble que les pirates russes n’aient pas cherché à cibler davantage l’Ukraine, en attaquant à distance ses infrastructures, son réseau électrique ou son armée. Peut-être les Ukrainiens ont-ils contré ces agressions informatiques. Et peut-être les Russes mèneront-ils plus tard des cyberattaques plus importantes.
En Suisse aussi, nous sommes concernés par cela. Sans cesse, entreprises et administrations publiques sont ciblées par des groupes de pirates russes. Tout récemment, c’est l’Université de Neuchâtel qui en a été la victime. Avec toujours le même scénario: un blocage des ordinateurs par un logiciel appelé ransomware, un vol de données, une menace de publier ces données sur le darknet et parfois le paiement d’une rançon pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers de francs. Il est possible que ce type d’attaques augmente: les pirates voudront ainsi non seulement tenter de déstabiliser des pays qui prennent des sanctions contre la Russie, mais, en plus, gagner de l’argent.
Richard Etienne
La guerre en Ukraine a des répercussions sur les plans énergétique et alimentaire dans le monde. La Russie est un grand fournisseur de pétrole, de gaz naturel et de charbon, des ressources qu’elle vend notamment en Europe. Les sanctions économiques engendrées par le conflit, même si elles ne visent pas directement ces richesses fossiles, entravent tout de même leurs exportations. Bien des banques ne veulent plus financer leurs achats, et les assurances, essentielles pour couvrir les risques liés à ces opérations, se sont retirées. Les bateaux, qui doivent transporter le pétrole et le charbon, n’accostent plus en Russie. Seul le gaz russe, qui passe largement via des gazoducs, peut encore arriver sans trop d’encombre.
Les pays européens, refroidis par une flambée des prix et voulant surtout être sûrs de pouvoir disposer de l’énergie dont ils ont besoin, cherchent des alternatives. Leur quête sera compliquée car ils dépendent largement des énergies russes. L’Allemagne consomme beaucoup de gaz – notamment quand ses installations solaires ou éoliennes sont moins performantes (quand il n’y a pas de soleil ou de vent) – et celui-ci vient surtout de Russie. Pour s’en affranchir, Berlin envisage de recevoir du gaz d’autres pays, notamment des Etats-Unis et du Qatar. La matière première arriverait alors par bateau, sous forme liquide. L’Allemagne hésite aussi à réactiver des centrales nucléaires qu’elle voulait fermer, et veut accélérer le déploiement de panneaux solaires et d’éoliennes.
En temps normal, un quart du blé exporté dans le monde part des ports de la mer Noire, surtout en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, et largement en Asie. La fermeture du trafic maritime dans la région a considérablement réduit l’offre globale, et donc augmenté les prix des céréales. Dans les pays riches, où la part des dépenses qui va dans la nourriture est modérée, on peut composer avec des hausses. Dans les contrées moins nanties, où les budgets sont beaucoup plus liés aux besoins de première nécessité, c’est une autre paire de manches. En 2011, le Printemps arabe avait largement découlé d’une flambée des prix agricoles et cette année, la hausse est encore plus forte. On s’attend donc à des tensions.
Mathilde Farine
Le but des sanctions est clair, mais pas forcément facile à atteindre: isoler et faire le plus de dégâts possibles à l’économie de la Russie pour inciter son président, Vladimir Poutine, à changer de voie. Le tout sans affecter le reste du monde. La mesure la plus spectaculaire est le gel des avoirs de la banque centrale russe. Sans cet argent, elle ne peut pratiquement plus défendre sa monnaie, le rouble, dont la valeur s’est effondrée. Cela signifie par exemple que tous les biens que les Russes achètent de l’étranger verront leur prix augmenter très fortement. Pour autant qu’ils puissent encore y accéder: en coupant l’accès à la plateforme Swift, les Occidentaux empêchent aussi certaines banques et entreprises russes de participer au système financier mondial, et donc au commerce mondial.
Beaucoup de Russes sont inquiets pour la solidité de leur système bancaire, c’est pourquoi on a vu des files se former devant des distributeurs de billets et certains chercher à changer leur argent contre des monnaies dites fortes, comme le dollar ou l’euro. Mais les Occidentaux veulent avant tout faire mal à Poutine et à ses proches, d’où le gel de leurs avoirs et l’interdiction de déplacements dans le territoire de beaucoup de pays, par exemple.
Aline Bassin
Printemps 2020. Frappée par une maladie inconnue, la Suisse découvre que son seul moyen de protection immédiat, à savoir un masque médical, lui fait cruellement défaut. A l’instar de bien des pays, elle a délégué la fabrication de ce produit à l’Asie. Cet exemple illustre parfaitement le mouvement de mondialisation économique qui a prévalu dans le monde depuis la fin du siècle dernier, de nombreux Etats ayant choisi de se concentrer sur certaines activités.
Cette division internationale du travail a créé une très forte interdépendance entre pays. Elle a plutôt fonctionné à l’avantage de l’Occident et a aussi favorisé l’essor de la Chine. Déjà malmenée par la pandémie de covid, cette organisation est désormais perturbée par la guerre en Ukraine. Pénuries de matières premières telles que le gaz, le pétrole ou le blé, sanctions, problèmes d’acheminement des marchandises, incertitudes sur l’avenir… Tous ces facteurs vont peser sur le développement économique mondial. La conséquence la plus visible pour tout un chacun est l’envolée des prix de l’essence ou du blé, des matières premières qui proviennent en partie de Russie ou d’Ukraine.
Les entreprises rencontrent des problèmes comparables pour s’approvisionner et voient leurs coûts de production augmenter. Le surplus d’argent que tout ce petit monde doit dépenser n’est pas utilisé pour d’autres achats et ralentit donc l’activité économique. Si du jour au lendemain votre facture de chauffage double, il y a de forts risques que vous renonciez par exemple à un repas au restaurant ou à une excursion. C’est ce scénario que les experts redoutent actuellement, en particulier en Europe, épicentre des tensions.
Pour le contrer, les gouvernements peuvent décider d’ouvrir leur portemonnaie et atténuer la perte de pouvoir d’achat de leurs concitoyens. Mais cet argent ne tombe pas du ciel. Il va augmenter l’endettement des pays et devoir être remboursé un jour. La guerre ne fait toutefois pas que des perdants: les fabricants d’armes voient déjà leurs commandes augmenter, tout comme les producteurs de pétrole ou de gaz situés aux Etats-Unis, au Moyen-Orient ou en Afrique.
Virginie Nussbaum
On imagine souvent la guerre se jouant sur le front militaire et les tables marbrées du pouvoir. Elle s’invite pourtant jusque dans les salles de concert, les musées, les théâtres. Depuis le début des hostilités, le monde culturel s’est lui aussi embrasé, les artistes se retrouvant pris entre deux feux. En Ukraine d’abord, créatrices et créateurs ont vu leurs activités bouleversées, menacées par les bombes, à l’image de nombreux sites du patrimoine – le Musée d’art d’Odessa s’est bardé de barbelés pour protéger ses 10 000 œuvres et, non loin de Kiev (ville où bourdonne habituellement une riche scène culturelle), les attaques russes auraient déjà détruit une vingtaine de toiles de la célèbre peintre Maria Primatchenko. Mais de victimes, les artistes se sont rapidement mués en acteurs du conflit. En prenant les armes pour certains, mais surtout, comme Picasso ou les Beatles à leurs époques, en élevant leurs voix.
«Je ne peux pas vous divertir alors que des missiles tombent sur l’Ukraine», a déclaré sur Instagram le rappeur russe Oxxxymiron, annulant trois concerts pour protester contre l’intervention de son pays. Une position défendue à l’unanimité chez les artistes ukrainiens, moins du côté russe, où certains ont préféré rester discrets. Parce qu’ils craignent des représailles (toute opposition au Kremlin est réprimée par des vagues d’arrestations)… ou qu’ils sont proches du gouvernement de Poutine. C’est le cas du chef d’orchestre Valery Gergiev, connu pour ses liens d’amitié avec le président russe. Muré dans le silence, malgré les appels des plus grandes institutions du monde classique qui le sommaient de dénoncer l’invasion ukrainienne, Gergiev et son orchestre se sont vus radiés des affiches, de la Scala de Milan au Verbier Festival.
Un boycott des artistes russes qui fait débat. Devraient-ils forcément prendre position, ou alors devenir persona non grata? Pas juste, estime la soprano Anna Netrebko, qui a martelé sur Facebook: «Je ne suis pas une personne politique.» Politique et culture sont invariablement imbriqués, rétorquait le directeur de la Scala, Dominique Meyer, dans nos pages. Sa décision d’exclure Gergiev était «difficile», mais motivée par un espoir: qu’une pression sur la culture, bras non négligeable du pouvoir russe, puisse faire la différence.
Laurent Favre
Le 28 février, le Comité international olympique (CIO) a recommandé «aux fédérations internationales de sport et aux organisateurs de manifestations sportives de ne pas inviter ou de permettre la participation d’athlètes et de représentants officiels russes et bélarusses aux compétitions internationales». De nombreux sports ont rapidement suivi ces recommandations. Le cas le plus spectaculaire est celui du football: la FIFA a suspendu l’équipe nationale de Russie qui devait disputer à la fin du mois de mars des barrages pour la qualification à la Coupe du monde 2022. L’UEFA a exclu le Spartak Moscou de l’Europa League et rompu son contrat avec la société russe Gazprom, sponsor important de la Ligue des champions, dont la finale prévue à Saint-Pétersbourg a été déplacée à Paris. Enfin, craignant de voir ses biens saisis, le milliardaire russe Roman Abramovich a mis en vente du club de Chelsea.
Longtemps, le CIO et la FIFA ont défendu la neutralité du sport, qu’ils s’obstinaient à voir comme apolitique, souvent en contradiction flagrante avec les faits. Comment expliquer alors un revirement aussi soudain et complet? Ces instances ont tout d’abord été obligées de réagir après que plusieurs athlètes, équipes ou fédérations ont annoncé leur refus d’affronter des adversaires russes ou de se rendre en Russie. Ces sportifs ou dirigeants témoignent eux-mêmes d’une évolution observée depuis quelques années dans le monde du sport, qu’ils ne perçoivent plus comme un espace à part. Les réseaux sociaux leur permettent de s’exprimer directement et les exposent plus qu’avant aux sensibilités du public. Il en est de même pour les sponsors, désormais très soucieux de l’image de l’événement auquel ils associent leur nom.
Une dernière explication est plus cynique. Vladimir Poutine a beaucoup misé sur le sport pour faire briller son pays en organisant de grandes compétitions internationales, comme les Championnats du monde d’athlétisme en 2013, les Jeux olympiques d’hiver en 2014, la Coupe du monde de football en 2018. Les fédérations sportives se sentent plus libres de couper les ponts maintenant que ces événements sont passés.
Laure Lugon Zugravu
C’est quoi, être neutre? Lorsque la Suisse a repris les sanctions de l’Union européenne contre la Russie, beaucoup de journaux étrangers ont prétendu que c’était la fin de la neutralité suisse. Vraiment? Non.
Il faut toujours revenir à l’histoire pour comprendre le sujet. La neutralité a été imposée à la Suisse il y a très longtemps, en 1815, au congrès de Vienne, où les grandes puissances ont mis un terme à l’aventure napoléonienne. Pour elles, il fallait un Etat tampon au centre de l’Europe pour sécuriser les passages alpins. L’Etat fédéral y était aussi favorable, car la Suisse, à l’époque, était au bord de la guerre civile. Juridiquement, la neutralité est définie très simplement depuis cette époque: elle interdit toute participation à des actions militaires. Autrement dit, la Suisse ne va ni guerroyer ni aider militairement tel ou tel belligérant.
Politiquement, c’est une autre histoire, car la neutralité est sujette à interprétations. Concrètement, elle permet de reprendre des sanctions imposées par d’autres. La Suisse doit alors faire un arbitrage entre d’une part l’indépendance, la sécurité et la prospérité du pays et d’autre part les valeurs qu’il porte, parmi lesquelles les droits de l’homme et la démocratie. Elle veille aussi à ne pas trop fâcher l’une ou l’autre partie au conflit, puisqu’elle s’est spécialisée dans ce qu’on appelle «les bons offices», c’est-à-dire offrir aux adversaires un endroit neutre pour pouvoir négocier.
A chaque conflit, les discussions vont donc bon train. Pas sur la question militaire puisque là, tout le monde est d’accord, ce n’est pas notre affaire. Mais sur les sanctions commerciales, autrement dit les punitions contre un agresseur. En 1998, lors du conflit de l’ex-Yougoslavie, la Suisse n’a repris que partiellement les sanctions. Contre l’Iran, elle n’en a pas pris, ni contre la Russie en 2014 lorsque cette dernière a envahi la Crimée. Cette fois-ci, elle a commencé par tergiverser, ce qui a fâché tout le monde: l’Union européenne, mais aussi beaucoup de Suisses et presque tous les partis, de gauche comme de droite (sauf l’UDC), ce qui est assez rare. Par conséquent, elle a corrigé le tir en s’alignant sur les sanctions occidentales. Dans l’appréciation de la neutralité, le pragmatisme compte plus que les bons sentiments.
Grégoire Baur
Il n’a jamais été aussi simple de voir ce qui se passe sur le front. Les réseaux sociaux regorgent de vidéos ou de photographies venues tout droit d’Ukraine. Chaque jour, des personnes postent des centaines voire des milliers d’images sur Twitter, Instagram ou TikTok. Mais ont-elles réellement été réalisées ces dernières semaines? Ont-elles été vraiment capturées en Ukraine? Ou sont-elles issues d’autres conflits ou situations catastrophiques et réutilisées aujourd’hui?
Il est important de prendre conscience que les images ne sont pas des preuves en soi. L’expression «il faut le voir pour le croire» n’est plus d’actualité à l’heure des réseaux sociaux, tant les détournements sont courants. C’est pourquoi il est nécessaire de se questionner sur le contexte qui entoure la photo ou la vidéo que vous regardez: qui en est l’auteur, où a-t-elle été capturée, à quelle date, dans quel but a-t-elle été diffusée? Plus vous aurez d’informations sur le contexte, plus vous pourrez vous faire un avis sur la véracité ou non des images et du message que l’on souhaite vous faire passer au travers de leur utilisation.
Pour vous aider dans ce travail de vérification, des outils peuvent s’avérer utiles. Des sites comme TinEye ou Google Images permettent de réaliser, pour les photos, des recherches que l’on appelle inversées. Amnesty International ou le projet InVID ont, eux, développé des outils identiques pour les vidéos. Il suffit d’entrer l’adresse web de la photo ou de la vidéo pour que le site recherche des contenus identiques et vous renseigne notamment sur leur date de publication et le contexte dans lequel ils ont été utilisés. Vous saurez ainsi si les images que vous regardez ont bien été prises début mars en Ukraine ou si, au contraire, elles ont été capturées en Syrie en 2012, par exemple.
Ne prenez pas pour argent comptant non plus une vidéo parce qu’elle vous a été envoyée par un ami. Votre lien d’amitié ne signifie pas pour autant qu’il aura fait un travail de vérification. De même, ne vous fiez pas aux nombres de likes ou de partages d’un post pour juger de sa véracité. Sur les réseaux sociaux, nous sommes gouvernés par l’émotion. Il est nécessaire de mettre de côté la colère, la tristesse ou la stupéfaction que l’on peut ressentir face à un post, pour s’assurer que ce que l’on regarde n’a pas été mis en ligne pour nous désinformer.
Myrtille Wendling
Après deux ans de crise sanitaire, il fallait qu’une guerre éclate. Il est totalement légitime de se sentir angoissé à cause du conflit en Ukraine. Une lutte armée effraie toujours, d’autant plus lorsqu’elle se passe près de chez nous. Mais, heureusement, «la peur nous rend vigilants, et elle assure ainsi notre sécurité», décrypte la psychologue Pascale Roux. Tirons alors les bienfaits de nos doutes. Qu’est-ce qui vous inquiète vraiment? Telle est la question à laquelle il est bon de répondre pour calmer ses angoisses, selon celle qui est aussi coach de vie. En mettant des mots sur une situation, on pense que rien n’évolue. C’est vrai. Parler de la guerre ne résout pas le conflit. «Mais cela change notre rapport à la situation: on ne se sent plus seul et on mesure le degré de probabilité que le scénario le plus redouté arrive», soutient l’experte, basée à Genève.
En identifiant l’origine de son stress, des solutions émergent. Peur d’une catastrophe nucléaire? Pourquoi ne pas regarder les abris antiatomiques près de chez vous. Angoissé à l'idée que la guerre arrive en Suisse? Il est alors bon de se tenir informé pour suivre l’avancée de la situation en Ukraine. Un sentiment d’impuissance vous gagne? Selon Pascale Roux, «manifestez, travaillez à la collecte de dons, faites ce qui vous soulage. Et si rien ne paraît bénéfique, alors revenez à vos besoins personnels (sport, études, amis, passions). En tant qu’adolescent, vous n’êtes pas en mesure d’arrêter la guerre.»
Et ce n’est pas grave. Votre mission: prendre soin de vous. Or, puisque l’angoisse se nourrit d’images et d’informations, «référez-vous aux médias sérieux ou à Wikipédia plutôt qu’aux réseaux sociaux. Vous pouvez aussi regarder moins de vidéos sur l’Ukraine», préconise la psychologue. Si vous êtes victime de racisme, de violences verbales, psychologiques ou physiques à cause de la situation, il est recommandé d’en parler à une personne de confiance pour trouver des solutions adéquates. Aucun individu ne doit payer le prix du conflit.
Boris Busslinger
En Suisse, la loi prévoit que tout homme majeur accomplisse un service militaire. Dans le passé, cette règle était très stricte et ceux qui s’y opposaient pouvaient passer plusieurs mois en prison. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé et, à 18 ans, deux options sont offertes aux citoyens suisses de sexe masculin: l’armée ou le service civil. Le deuxième choix est une fois et demie plus long mais il est toujours plus populaire, ce qui inquiète les partisans d’une armée suisse forte. D’autres pensent au contraire que l’armée ne sert à rien car, malgré l’obligation de servir, la Suisse ne participe jamais à aucun conflit. Alors pourquoi est-ce que nous avons encore des militaires?
La Suisse est un pays neutre, ce qui veut dire qu’elle ne prend pas position lors d’une guerre entre deux pays, qu’elle n’est pas membre d’organisations militaires (comme l’OTAN) et, théoriquement, que son territoire est inviolable. Ces principes ont été reconnus dans des traités internationaux. Mais on ne sait jamais… Alors, pour pouvoir se défendre en cas d’attaque, la Suisse dispose d’une armée dite «de milice» – non professionnelle. Celle-ci se base sur un «effectif réglementaire» de 100 000 hommes, dont plus de 70 000 soldats (actuellement il y en a en fait davantage: 150 000 personnes, dont 1500 femmes). Ce chiffre comprend ceux qui sont actuellement incorporés dans le système, entre l’école de recrues et la fin des obligations militaires. Le but est qu’ils soient toujours prêts dans le cas d’une «mobilisation». La dernière fois, c’était lors de la Deuxième Guerre mondiale, pour surveiller les frontières.
Pour se préparer, ces hommes et ces femmes s’entraînent avec des centaines de véhicules, dont des chars, des tanks ou encore des bateaux. La Suisse a aussi des avions, qui sont au centre d’un grand débat. En 2020, la population a voté en faveur de l’achat de nouveaux jets pour remplacer les vieux F/A-18 et, en 2021, le gouvernement a annoncé qu’il achèterait des F-35 américains. Or, certains pensent que c’est une mauvaise idée, car il vaudrait mieux se fournir en avions européens pour se rapprocher de nos voisins, dont notre défense dépend beaucoup. Une initiative pourrait prochainement faire revoter les Suisses sur le sujet. Quoi qu’il soit décidé, la guerre en Ukraine aura beaucoup d’influence sur le scrutin.