Les pères du CEVA
Le Léman Express est une très vieille histoire. En 1881, Suisses et Français signaient une convention pour réaliser une liaison entre Genève et Annemasse. Un siècle plus tard, le tout voiture en vigueur avait, semble-t-il, définitivement remisé le projet d’une mobilité douce défendu par une poignée d’élus. Dont Robert Borrel, ex-maire d’Annemasse, et Robert Cramer, ex-conseiller d’Etat vert genevois, surnommés les deux pères du CEVA. Ils se sont donné rendez-vous au bien nommé café des Voyageurs, aux Eaux-Vives, face à la gare encore en chantier.
Retrouvailles, embrassades, un verre d’eau gazeuse pour l’un, un chasselas pour l’autre. Ces deux-là sont les bâtisseurs du Grand Genève. A la fin des années 1990, le Français et le Suisse s’en allaient battre la campagne pour dire au peuple que l’ouverture valait mieux que le repli.
«Il fallait impressionner»
Robert Cramer se souvient: «J’avais ma voiture officielle. Devant les mairies des villages français, tout le Conseil municipal attendait sur le perron. Ils n’avaient jamais vu un ministre genevois se déplacer ainsi. Je disais à mon chauffeur: «Descends et ouvre-moi la portière.» Il fallait impressionner. C’est ainsi que nous avons amadoué et mobilisé les élus.»
ROBERT CRAMER ET ROBERT BORREL, les pères du CEVA discutent au Café des voyageurs, devant la gare des Eaux-Vives – David Wagnières pour Le Temps
Les compères ont procédé par étapes pour bâtir le Grand Genève, dont la plus belle réalisation est le Léman Express. «On a commencé par les contrats de rivière parce que c’est commun à tous, si l’eau est sale ici elle est sale là, idem pour la gestion des déchets et puis enfin les transports», raconte Robert Cramer.
Ils élaborent en 2007 le projet d’agglomération première génération et décrochent le Grand Prix européen de l’urbanisme. «On est allés ensemble le chercher à Bruxelles», rappelle Robert Borrel. Avant, il y eut des embûches. 1996: projet de traversée routière de la rade refusé par les électeurs. 1998: projet de métro léger retoqué. 2002: adoption enfin du projet de loi ouvrant un crédit de 400 millions de francs pour le financement de la part cantonale du CEVA.
Il y aura moult oppositions du côté suisse – de la part de partis politiques comme le très anti-frontalier MCG et de riverains comme ceux de Champel qui croyaient qu’un TGV passerait à 3 mètres sous leur lit – et un flagrant manque d’enthousiasme côté français.
Il ne fallait surtout pas attendre un soutien d’Annecy, qui a toujours accusé Genève de siphonner la main-d’œuvre française, explique Robert Borrel. Bernard Accoyer [maire d’Annecy-le-Vieux et ancien président de l’Assemblée générale] a toujours intrigué contre le CEVA.» Aujourd’hui, les Robert se réjouissent, «même si le Léman Express va plutôt endiguer le surplus d’automobiles que résoudre les problèmes intrinsèques de transport».
Un réseau insuffisant
ROBERT CRAMER ET ROBERT BORREL, les pères du CEVA discutent au Café des voyageurs, devant la gare des Eaux-Vives – David Wagnières pour Le Temps
Tous deux insistent sur le fait que la Haute-Savoie devra moderniser son réseau ferroviaire afin que les pleines capacités du Léman Express s’y expriment. Bon nombre de frontaliers d’Annecy ne monteront pas dans le Léman Express en raison d’un temps de parcours jugé trop long.
Autres griefs qui visent l’ensemble de la région: le manque de parkings P + R. Pour le moment, le Genevois français recense 24 parkings-relais qui offrent 3100 places. D’ici à 2023, 6000 places pourraient être ajoutées. «Mais c’est maintenant qu’il faut apprendre à poser sa voiture, pas dans deux ou trois ans», insiste Robert Borrel.
La ligne du Tonkin, maillon manquant
Dans le Chablais français, les habitants sont plutôt incités à rester au volant. La présidence du Conseil départemental de Haute-Savoie s’est prononcée en faveur d’un projet de liaison autoroutière entre Thonon et Machilly, pour désenclaver cette région et faciliter l’accès des frontaliers à Genève.
Selon les défenseurs de l’environnement, c’est là un très mauvais signal au moment où le Léman Express va arriver en gare d’Evian et de Thonon. D’autant que l’on reparle de la réouverture de la légendaire ligne dite du Tonkin, entre Evian et Saint-Gingolph. Ses 17 km de rails sont désaffectés depuis vingt ans.