Quand la montagne
s'effondre

Une large partie du village de Bondo (GR) est actuellement ensevelie sous les pierres et les débris. Une coulée de boue dévastatrice a coûté la vie à huit personnes. Ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’un tel drame se produit. Le changement climatique met les Alpes à rude épreuve et le permafrost dégèle. Pourquoi?


Mathias Bader (Blick)
  •  Janine Gygax (Blick)
  •   Simon Huwiler (Blick)
  •   Adrian Meyer (Blick)
  •   Adaptation pour Le Temps par Célia Héron et César Greppin

Les Alpes s’effondrent. Le permafrost – la glace contenue dans le sol des hautes montagnes, soudant roches et parois et permettant à l'ensemble de tenir – se réchauffe de plus en plus vite. Et ce pour une simple raison: nos étés sont de plus en plus chauds, nos hivers de plus en plus courts. L’été 2017 a encore battu des records de chaleur, et les températures du sol n’ont jamais été aussi élevées.

Cette tendance a une conséquence dramatique sur le sol des hautes montagnes: il fond. Les chutes de pluie se font plus intenses, remplaçant la neige, l’eau s’infiltre dans les roches, accroissant la pression dans les sols montagneux. Ces derniers deviennent ainsi meubles, instables… et commencent à s'effriter.

Les petites fissures ne sont pas rares. Elles peuvent parfois se transformer en craquelures de plus grande ampleur, voire mener à des tragédies. La coulée de boue à Bondo, dans les Grisons, en est le récent exemple. Après que des masses rocheuses furent tombées de la montagne, un mélange de pierre, d’eau et de terre a suivi, détruisant ce qui ne l'avait pas encore été par la chute des roches.

«A plus de 2500 mètres d’altitude, le permafrost n’a pas arrêté de se réchauffer ces dernières années, souligne Marcia Philipps, à la tête d’un groupe de recherche à l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches WSL à Davos (Grisons). Les conséquences sont visibles à l'œil nu: les Alpes se transforment.»

La «colle» des Alpes

Quand la température du sol est inférieure à 0°C tout au long de l'année, on parle de permafrost. L'eau que l'on trouve à l'intérieur du sol est gelée. La glace du permafost est un facteur stabilisant des pentes, talus d'éboulis et parois rocheuses dans la haute montagne.

Au niveau local, des problèmes jusqu’ici inconnus inquiètent la population: parois rocheuses qui s’effritent, crêtes instables, pentes glissantes, bâtiments fissurés. Les Alpes deviennent de plus en plus dangereuses – surtout pour les alpinistes, explique Marcia Philipps. Les itinéraires vraiment sûrs se font de plus en plus rares. Les trains de montagne circulent sur des routes moins stables et leurs infrastructures, déjà coûteuses, doivent être sécurisées à grands frais.

Les hauts et les bas des sols montagneux

La couche supérieure, qui gèle en hiver et fond en été, est nommée «la couche de dégel». Dans la montagne, cette couche peut contenir de la glace de permafrost. Quand la glace de permafrost dégèle, la fonte a pour conséquence une perte de volume. Lorsque l'eau qui pénètre par la suite gèle, le volume augmente. Plus la couche de dégel est épaisse, plus le terrain de montage a tendance à se soulever puis à s'affaisser.

Chez les observateurs, l’inquiétude grandit. L’institut WSL et le réseau suisse de surveillance du permafrost Permos (http://www.permos.ch/) suivent à la loupe l’évolution des températures du permafrost dans les Alpes suisses. Au début des années 1980, une trentaine de forages ont été effectués. Si, pendant des décennies, l’impact du changement climatique sur le permafrost n’était pas clairement établi, ses conséquences sont aujourd’hui évidentes: le sol se réchauffe de façon constante.

Parallèlement - et bien que cela semble complètement paradoxal - un nouveau permafrost se reforme actuellement dans les Alpes. A cause (surprise!) du changement climatique. Tandis que le sol autrefois gelé se réchauffe sur les crêtes exposées et les parois rocheuses des hauteurs, un nouveau sol glacé se forme dans les vallées et au pied des pentes.

Pourquoi? Comment? Ce phénomème s’explique par une multiplication des avalanches en hiver et des éboulements rocheux en été. Si les éboulis tombent sur une couche de neige déposée par une avalanche, un sandwich de roche et de glace se forme. Les débris conservent naturellement la glace dans le sol. Au fil du temps se dessine un glacier rocheux, qui peut tenir des milliers d’années.

Formation de glaciers rocheux

Paradoxalement, le réchauffement climatique peut mener à la formation de glaciers rocheux

«Les glaciers rocheux représentent une potentielle source d’eau potable pour l’avenir, explique la chercheuse Marcia Phillips. C’est la bonne nouvelle. La mauvaise, et pas des moindres, est que ce tas de décombres glisse de plus en plus rapidement vers la vallée en raison du réchauffement climatique. En vingt ans, leur vitesse de glissement a été multipliée par 4: on est passé de 10 centimètres par an à une quarantaine de centimètres par an.»

Les glaciers rocheux pourraient ainsi s’ajouter aux coulées de boue, qui menacent elles aussi les vies des habitants des environs. «Moins les sols sont stables, plus la construction dans les hautes montagnes relèvera du défi», explique Marcia Phillips. «Le sol peut à tout moment se mettre en mouvement». 

On peut mesurer l'évolution des températures du permafrost grâce aux données des forages. Sur le sommet de la Jungfrau par exemple, à près de 3500 mètres au-dessus du niveau de la mer, elles ont gagné près de 1 degré entre 2010 et 2016, passant de - 5,8°C à -5°C. Le permafrost est clairement menacé quand la température atteint -1°C. Compte tenu du réchauffement en cours, cette limite sera forcément atteinte: ce n'est qu'une question de temps. 

Différences locales

Sur le Schafberg, en Engadine, les températures du permafrost restent relativement stables aux alentours de 0°C alors que sur la Jungfrau, dans l'Oberland bernois, elles sont en augmentation constante. (Valeurs annuelles moyennes des températures en degrés Celsius).

Un phénomène surprenant a par ailleurs été relevé par les chercheurs: les premières neiges ne tombant que très tardivement au cours des deux derniers hivers sur le Schafberg, au-dessus de la réserve de Pontresina (2750 mètres d'altitude environ), les températures du sol ont chuté. «Un enneigement tardif en hiver peut conduire au refroidissement du sol», explique Marcia Phillips. La neige précoce isole le sol, lui permettant de conserver une partie de la chaleur accumulée pendant l’été. Quand cette couverture neigeuse disparaît, le sol refroidit plus rapidement lorsque l'hiver arrive. «Un climat plus chaud peut donc localement avoir un effet de refroidissement.»

Les Alpes sont fiévreuses.

Bouton fermer
Notre rédaction vous offre l'accès à ce long format.