J’ai dépassé le groupe devant moi sans rien dire. Plus loin, un sherpa gambade sur la pente et chante à tue-tête des airs de la vallée quand les bourrasques de vent viennent heurter son Gore-Tex. Quand l’Everest s’est dévoilé, il a hurlé un cri aigu en levant les bras au ciel. La déesse Chomolungma, comme les sherpas l’appellent, s’offrait à lui. A 5550 mètres, ils sont chez eux. Au sommet du Kala Patthar, on voit toute la montagne, du col sud au sommet, 3000 mètres au-dessus de nos têtes. Je suis arrivée au point culminant de mon trek. A partir d’ici, je dois rebrousser chemin et tout aura un air de déjà-vu. Assise sur une pierre à distance des groupes qui débarquent, je regarde le paysage en silence. Je ris bêtement en pensant au réveil et, en guise de champagne, je déguste des carrés de chocolat Ovomaltine que j’avais gardés dans ma poche pour l’occasion. Devant moi, la mise en scène est parfaite. Ils sont tous là sous un soleil irradiant: le toit du monde massif, le Nuptse gracieux, le Pumori impeccable et les fidèles Ama Dablan, Kangtega et Thamserku qui m’ont accompagnée tout au long du chemin. Dans l’ombre, en contrebas, je distingue les tentes orange du camp de base de l’Everest.
Les autres marcheurs se lâchent à côté, ils exultent. Certains brandissent leurs drapeaux, d’autres écrivent leur nom sur des pierres et les âmes rebelles fument une cigarette népalaise. Je me joins à eux, compagnons d’un sommet que je ne connais pas, mais que j’embrasse quand même. Le Kala Patthar, ce tas de cailloux noirs, c’est notre Everest à nous. On se raconte nos vies, celles qui nous ont menés là, on se sent puissants, superpuissants. Tellement puissants qu’on ouvre les bras, qu’on bombe le torse et qu’on crie un truc comme «Kalaaaaaa Patthaaaaaar!!!»