Au Groenland, les enjeux du changement climatique s’expriment avec une acuité rare. Glaciers, végétation et biodiversité sont impactés. En première ligne, les Inuits témoignent du bouleversement de leur quotidien. Nous avons eu l’opportunité de suivre des scientifiques de l’expédition suisse GreenFjord venus collecter les précieuses données qui nourriront les modèles climatiques.
Un bateau amène les scientifiques au plus près du glacier de Qajuttap, du nom du dernier chaman de la région. S’approcher de ce monstre de glace est une mission périlleuse. L’objectif est d’enregistrer les vibrations engendrées par la chute d’énormes icebergs qui roulent sur eux-mêmes. Un campement a été installé sur la terre ferme à proximité. Une ourse polaire traverse le paysage avec son petit. Tel est le tableau de ce premier chapitre racontant le travail non sans risques des glaciologues.
Dans la baie du Qajuttap, une autre équipe de scientifiques – des biogéochimistes – vient rendre visite au géant de glace. Elle collecte des échantillons d’eau à plusieurs profondeurs, tout en mesurant, grâce à des sondes, le taux de chlorophylle et de sels minéraux dans le fjord, afin de déterminer en laboratoire la présence de phytoplancton. Le fjord est encore riche en biodiversité, mais cela pourrait ne plus être le cas lorsqu'il aura reculé vers les terres, comme d’autres de ses voisins.
Dans le petit village de Narsaq, les habitants lèvent les yeux vers le ciel, où flotte un étrange ballon rouge et blanc, aux couleurs du Groenland. Cette sonde est partie mesurer la présence de particules dans l’atmosphère de la région. Ces poussières se sont envolées après avoir été déposées par la fonte des glaces. Avec ce dispositif, des scientifiques de l’EPFL étudient leurs rôles dans la formation des nuages et le climat local.
La mer se réchauffe et devient plus douce, les prises des pêcheurs et des chasseurs de phoques coulent au lieu de flotter. La dérive de la glace de mer devient imprévisible. Les Inuits sont aux premières loges du réchauffement, qui impacte leur quotidien. Pourtant, la perspective des populations locales est souvent négligée dans les recherches sur le changement climatique. L’équipe de GreenFjord tente de remédier à cela en facilitant la co-construction de la recherche entre scientifiques et habitants.
Les enjeux climatiques se sont donné rendez-vous à Narsaq. Une montagne proche du village inuit abrite la deuxième réserve de terres rares du monde, indispensables à la transition énergétique. Mais les minerais sont étroitement imbriqués avec de l’uranium et du thorium. A cause des risques, certains habitants se sont élevés contre ce projet, jusqu’à renverser le gouvernement qui avait donné son feu vert. Mais un autre projet est à l’étude. La guerre des minerais ne fait que commencer.
Le Groenland est bien vert, dans la partie méridionale du pays. Ici s’épanouissent des arbustes de saules et de bouleaux nains à basse altitude, qui laissent leur place aux lichens et aux mousses au fur et à mesure que l’on s’approche du glacier. Trois jeunes chercheurs de l’EPFZ parcourent ce paysage: ils sondent le sol afin de déterminer si celui-ci pourra, avec la hausse des températures, capter plus de CO2 et permettre aux arbustes de s’étendre davantage dans l’Arctique.
L’arbre est un objet de curiosité au Groenland, la très grande majorité du territoire étant dépourvue de ligneux de grande taille. Scientifiques et passionnés tentent d’en faire pousser dans une petite région autour de Narsarsuaq, actuelle porte d’entrée dans le sud groenlandais. Les arbres proviennent des autres régions arctiques et même des Alpes suisses. Avec la hausse des températures, les nouveaux arrivés commencent à se reproduire et leur avancée semble inexorable. A moins que les humains et leurs moutons ne s’en mêlent.
Ce dossier a été réalisé avec le soutien de la Fondation Liliane Jordi pour le journalisme, l’Association suisse du journalisme scientifique, JournaFonds et la fondation Gebert Rüf.