Climat, l’été de tous les extrêmes

Une enquête de Pascaline Minet

Pluies torrentielles, canicules et feux de forêt: les catastrophes naturelles liées au dérèglement climatique se sont multipliées cet été, alors que doit prochainement paraître le prochain rapport du GIEC sur le réchauffement

La planète est-elle devenue folle? Ces dernières semaines, les événements météorologiques extrêmes se sont multipliés à travers le monde. Du Nord-Ouest américain à la Chine en passant par l’Allemagne et la Turquie, les canicules, incendies et pluies torrentielles ont emporté de nombreuses vies et occasionné de gigantesques dégâts.

Alors que le prochain rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat est attendu lundi 9 août, ces catastrophes viennent nous rappeler douloureusement la réalité du dérèglement climatique. Certes, la planète a déjà connu des catastrophes naturelles par le passé. Et la proximité temporelle des événements récents a tendance à nous faire oublier les catastrophes plus anciennes. Néanmoins, il est désormais établi que le dérèglement climatique entraîne une multiplication de certains événements extrêmes. «Les vagues de chaleur et les fortes précipitations sont clairement devenues plus fréquentes et plus intenses», indique Reto Knutti, climatologue à l’EPFZ, qui souligne que les données scientifiques sont moins claires pour d’autres phénomènes comme la grêle ou les tempêtes, en tout cas sous nos latitudes.

À l’image des températures exceptionnelles enregistrées au début de l’été au Canada, certains phénomènes extrêmes observés aujourd’hui pulvérisent littéralement les records d’hier. Une observation inquiétante, corroborée par une étude publiée le 26 juillet par Reto Knutti et ses collègues dans la revue Nature Climate Change, dans laquelle ils montrent que les décennies à venir amèneront davantage de ces vagues de chaleur «hors catégorie». D’après leur évaluation, les pays situés au Nord de la Méditerranée, et notamment la Suisse, sont particulièrement exposés à ce risque.

La multiplication actuelle des catastrophes climatiques incitera-t-elle les Etats à davantage réduire les émissions de CO2? Rendez-vous à la COP26 de Glasgow, en novembre, pour le savoir. Alors que l’Accord de Paris prévoit de limiter le réchauffement global à 1,5°C d’ici la fin du siècle, afin d’éviter les impacts les plus graves du dérèglement climatique, le monde se dirige actuellement plutôt vers un réchauffement de l’ordre de 3°C - avec des conséquences potentiellement dévastatrices.

x

Dôme de chaleur dans le Nord-Ouest américain
Fin juin Près de 50°C enregistrés au Canada

Ce qui s’est passé:

Le Nord-Ouest du continent américain a recensé au début de l’été les températures les plus brûlantes de son histoire, la faute à la formation d’un «dôme de chaleur» qui a emprisonné l’air chaud au-dessus de la région. Le record absolu a été atteint dans la localité canadienne de Lytton, située au Nord de Vancouver, où le mercure a grimpé à 49,6°C le 29 juin. Soit presque 5°C de plus que le précédent record de chaleur enregistré au Canada. Des centaines de personnes sont décédées en raison de la chaleur. De gigantesques incendies ont dévasté l’Ouest du Canada, ainsi que les États américains de Washington et de l’Oregon. Plus au Sud, la Californie est aussi en proie à de violents incendies depuis plusieurs semaines.

Le lien avec le changement climatique:

Les canicules se multiplient et gagnent en intensité en raison du réchauffement causé par l’être humain. L’ampleur de celle qui s’est produite dans le Nord-Ouest américain est telle qu’elle aurait été presque impossible sans l’effet du dérèglement climatique, ont estimé les chercheurs du consortium World Weather Attribution. Dans une étude préliminaire, ces scientifiques ont calculé que le dérèglement climatique avait rendu cette canicule 150 fois plus susceptible de se produire.

Canicule et feux de forêt en Grèce et Turquie
Actuellement 43°C à Athènes

Ce qui se passe:

La Grèce fait face à la pire canicule qu’elle ait connue depuis trois décennies. Le 2 août, le mercure a grimpé à 43°C à Athènes. Cette vague de chaleur qui persiste depuis plusieurs jours concerne aussi la Turquie, le Sud de l’Italie, l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Kosovo, le Sud de la Serbie et la Bulgarie. Des incendies destructeurs se sont déclenchés en Grèce, notamment aux portes d’Athènes et dans la région d’Olympie, mais aussi dans le Sud de la Turquie, où 8 personnes ont perdu la vie. Avec quelque 100 000 hectares déjà partis en fumée, ce sont les pires incendies qu’ait connu la Turquie depuis au moins une décennie.

Le lien avec le changement climatique:

Les vagues de chaleur ne sont pas une nouveauté dans la région méditerranéenne. Mais il est avéré qu’elles se multiplient et gagnent en intensité sous l’effet du réchauffement causé par l’être humain.
La canicule actuelle n’ayant pas fait l’objet d’une étude scientifique, il n’est pas possible de dire avec précision le rôle du dérèglement climatique dans sa survenue, comme cela a été calculé pour le dôme de chaleur au Canada.

Pluies diluviennes en Allemagne et en Belgique
Mi juillet 220 morts

Ce qui s’est passé:

À la mi-juillet, des pluies torrentielles se sont abattues sur l’Allemagne, la Belgique mais aussi le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Autriche et la Suisse. Selon le service météorologique allemand, il est tombé environ 100 à 150 mm de pluie entre le 14 et le 15 juillet dans les régions les plus touchées, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie et la Rhénanie-Palatinat. Ce qui correspond, en deux jours, à deux mois de précipitations normales. En Suisse, l’épisode de précipitation principal s’est produit du 12 au 15 juillet, avec des cumuls de précipitations supérieurs à 100 mm sur presque tout le territoire. De nombreux cours d’eau sont sortis de leur lit, causant des inondations dévastatrices en Allemagne et en Belgique, où les crues ont fait 220 morts.

Le lien avec le changement climatique:

Les épisodes de précipitations extrêmes se sont multipliés au cours des dernières décennies dans la majorité des régions du monde, sous l’effet des dérèglement climatiques causés par l’être humain. Un phénomène qui s’explique par un mécanisme physique simple: plus l’air est chaud, plus il contient d’humidité (de l’ordre de 7% de plus par degré supplémentaire), ce qui accroît la quantité d’eau «disponible» lors des précipitations.



Précipitations et inondations en Chine
Mi-juillet 58 morts

Ce qui s’est passé:

Du 17 au 21 juillet, certaines régions de Chine ont essuyé des trombes d’eau. Certaines régions de la province centrale du Henan ont reçu en quelques jours l’équivalent des précipitations moyennes d’une année. Ces intempéries ont entraîné des inondations historiques et ont nécessité l’évacuation de près de 500 000 personnes. Au moins 58 décès sont à déplorer, dont ceux de 14 voyageurs qui ont été piégés dans le métro de Zhengzhou, la capitale de la province, lors d’une inondation éclair qui s’est produite le 20 juillet.

Le lien avec le changement climatique:

La Chine est soumise chaque année à une saison de pluies qui entraîne des crues de ses cours d’eau. Pour s’en prémunir, elle est équipée d’un système de barrages, de digues et de lacs de retenue. Mais ces équipements sont vieillissants et dépassés, alors que les épisodes de pluie torrentielle se multiplient en raison du changement climatique.

Mousson dévastatrice en Inde
Seconde moitié de juillet 230 morts

Ce qui s’est passé:

Des pluies torrentielles se sont abattues sur l’Est de l’Inde, en particulier sur l'État du Bengale occidental, durant la seconde moitié de juillet. Ces précipitations liées à la mousson ont entraîné des glissements de terrain et ont emporté des maisons, causant la mort de plus de 230 personnes.

Le lien avec le changement climatique:

De fortes précipitations se produisent chaque année en Inde à l’occasion de la mousson, entre juin et septembre. L’intensité et la fréquence de ces pluies est renforcée par le changement climatique. Particulièrement exposée aux effets du réchauffement, l’Inde a déjà connu depuis le début de l’année deux cyclones, une forte canicule et le détachement meurtrier d’un barrage dans l’Himalaya.

Incendies monstres en Sibérie et Yakoutie
Actuellement 11,5 million d’hectares brûlés

Ce qui se passe:

Depuis le mois de juin, l’extrême-orient russe est parcouru par de gigantesques incendies, attisés par une vague de chaleur et de sécheresse persistante. Des pics de température à 39°C ont été plusieurs fois atteints. L’été 2021 est le plus sec en 150 ans d’observation en Yakoutie. Selon l’Agence russe des forêts, plus de 11,5 millions d’hectares de forêt sont partis en fumée depuis le début de l’année, contre 8,9 millions en moyenne par année depuis le début des années 2000. Ces incendies émettent de grandes quantités de CO2 et occasionnent une pollution atmosphérique dangereuse pour la santé des habitants. Ils risquent aussi de provoquer la fonte du pergélisol, qui contient lui-même de grandes quantités de CO2.

Le lien avec le changement climatique:

Chaque été, des incendies se propagent dans la taïga sibérienne. Mais ces dernières années, ils ont atteint des ampleurs inédites, attisés par les canicules de plus en plus nombreuses dans la région, en raison du dérèglement climatique d’origine anthropique. «Les conditions chaudes et sèches augmentent la quantité de végétation sèche qui peut brûler, indique Retto Knutti, climatologue à l’EPFZ. Mais il faut noter que la chaleur elle-même ne peut pas déclencher un incendie. La cause est le plus souvent humaine.» De nombreux experts mettent en cause la mauvaise gestion des forêts russes et l’impréparation des autorités face à ces feux.

Vague de chaleur au Groenland et fonte accélérée de la banquise
Fin juillet

Ce qui se passe:

Avec des températures supérieures de 10°C à la normale, le Groenland a connu à la fin du mois de juillet une vague de chaleur importante. Elle a entraîné une fonte massive de la calotte glaciaire groenlandaise, de l’ordre de 8 milliards de tonnes chaque jour, soit le double du rythme moyen lors de la période estivale. Plus généralement, le territoire arctique dans son ensemble a enregistré ces dernières semaines des températures anormalement élevées. La couverture glaciaire a atteint des niveaux très bas tout au long du mois de juillet, avoisinant ceux enregistrés en 2012, année où la surface de la glace de mer arctique a été la plus faible jamais mesurée.

Le lien avec le changement climatique:

Le réchauffement est trois fois plus intense dans la région arctique que dans le reste du monde. La surface couverte par les glaces y diminue d’environ 13% par décennie depuis 40 ans. En cause, l’accroissement des températures mais aussi des modifications de la circulation océanique. Selon les simulations climatiques, la banquise arctique pourrait totalement disparaître durant l’été d’ici le milieu du siècle.