Il y a trente ans le 26 avril 1986 explosait le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl en Ukraine.
Plutôt que de revenir à nouveau sur ce passé pesant et omniprésent...
... Le photographe genevois Niels Ackermann a choisi de raconter l'avenir.
Construite en 1986 à une quarantaine de kilomètres de Tchernobyl, Slavutych est une ville de 25'000 habitants bâtie ex nihilo.
Il s'agissait de reloger les travailleurs et les liquidateurs à proximité du site pour pouvoir le maintenir en activité. En dépit des risques, la centrale a continué à fonctionner jusqu'en 2000.
Entre ville et campagne, Slavoutych est entourée d'une forêt réputée pour ses champignons.
L'emplacement a été choisi parce que s’y trouvait une ligne de chemin de fer et une rivière.
Ville nouvelle, Slavutych est aussi la plus jeune d’Ukraine.
On y trouve les meilleurs hôpitaux et les meilleures écoles. La vie semble y être plus attirante que dans le reste de l'Ukraine.
Dans un pays où le chômage a explosé, Slavutych a des airs d'Eldorado économique.
La plupart des travailleurs de la ville se rendent à la centrale par tranche de quinze jours.
Le reste du temps...
... se remplit à coups de vodka à trois francs le litre.
Les nuits de cette jeunesse ukrainienne débridée...
... sont emplies d'ivresse.
Yulia est l'un des jeunes suivis durant trois années par le photographe.
Comptable de formation, elle travaille comme traductrice à la centrale.
Pour les ambitions individuelles, Tchernobyl agit comme un véritable trou noir
De nombreux jeunes sont partis étudier à Kiev ou à Tchernigov, pour y apprendre le graphisme ou l’informatique. Mais la plupart d'entre eux reviennent, «aspirés» par la centrale, pour finir dosimétristes ou soudeurs
La jeunesse de Slavutych dévore le présent avec un appétit féroce.
«Ici, plus de gens meurent à cause de la drogue et de l'alcool qu'à cause de la radioactivité», raconte Kiril devant la tombe d'un ami tombé d'un balcon un soir de fête.
La ville a la réputation de cultiver les mœurs légères.
Une expression ukrainienne dit: «A Slavutych, personne ne dort dans un lit seul»
Au moment de sa construction, Slavutych faisait rêver. Il fallait faire de ce No man's land un lieu parfait pour faire oublier la honte de Tchernobyl.
Des habitants d’Odessa ou d’autres grandes villes de l’Union soviétique échangeaient leurs appartements pour vivre ici.
Aujourd'hui, les jeunes Ukrainiens n'attendent pas grand chose de l'avenir.
Niels Ackermann a passé trois ans à s'immerger dans la vie de ces jeunes. Il a partagé leurs fêtes, a été le témoin de leurs amours naissantes.
Il a réussi à documenter l'intimité de ces jeunes garçons et ces jeunes filles.
Trouver son amoureux, emménager à deux, se marier, faire des enfants....
... Ses images sont le récit du passage de l'adolescence à l'âge adulte dans un pays à l'histoire récente tourmentée.
En juin 2013, la belle Yulia épouse Génia.
Elle est en mini-robe blanche, lui en short pâle.
Dix-huit mois après son mariage, Yulia a divorcé.
«Vous avez tout à Slavutych, raconte Yulia. Mais il manque quelque chose. C’est difficile à expliquer»
«Quand vous êtes un enfant, cette ville est géniale. Mais plus vous grandissez, moins il y a à faire.»
«Ceux qui vivent ici deviennent des zombies»
En 2017, le deuxième sarcophage posé sur le réacteur numéro 4 sera terminé.
La région aura alors perdu toute raison d'être économique (en photo, la ville abandonnée de Pripiat).
Ici ou ailleurs, à Kiev ou à l'étranger, la jeunesse de Slavutych continuera à faire ce qu'elle a toujours fait...
... s'inventer un futur au jour le jour.
Ce reportage photographique de Niels Ackermann est un extrait de son travail mené durant trois ans en Ukraine, et publié dans un livre «L'Ange blanc» aux éditions Noir et Blanc. Le journaliste Gaëtan Vannay et l'écrivain ukrainien Andreï Kourkov signent les textes de cet ouvrage.
Reportage photo: Niels Ackermann / Lundi13
Textes: Caroline Stevan et Jean Abbiateci
Iconographie: Véronique Botteron
Réalisation: Jean Abbiateci
Photo d'archive: Keystone
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