Tout ce que j’ai vu, c’est que ma main gauche avait doublé de taille. J’ai sauté hors de mon sac de couchage en me tenant le poignet. J’ai enfilé mes baskets sans mettre les talons et je suis descendue en courant dans le réfectoire. «Ngawang! Ma main!» Mon guide l’a regardée, a haussé les sourcils. Il a balayé l’air du bout des doigts et m’a tendu le menu du petit déjeuner.
J’étais pourtant restée deux jours à Namche Bazar pour m’acclimater. Dans la montée pour Tengboche, je m’étais sentie en forme. Je voulais danser sur le ventre de l’altitude, oublier l’air aminci et prendre de la hauteur encore. En népalais, «bistari bistari» signifie «tout doux», «lentement, lentement». C’est ce qu’on me disait en m’avertissant du risque de maux de tête et de sommeil perturbé. Je n’ai pas écouté. J’étais en feu, j’ai couru en haut dans le brouillard et d’un coup je me suis retrouvée nez à nez avec les parois d’une bâtisse imposante. C’était l’hôtel: deux étages de béton brut et un escalier qui s'élève vers un balcon sans garde-corps. C’est toujours ouvert et on y entre par deux portes battantes. Dedans, il fait aussi froid que dehors. De l’autre côté, toujours sur le col à 3867 mètres, je distinguais à peine le plus grand monastère du Khumbu. Il était fermé à double tour par un verrou sur une porte imposante.