Plus bas encore, le réseau téléphonique s’était effacé juste après Pangboche, en même temps que la végétation. Fini la forêt de bouleaux rouges, les rhododendrons en fleur, le lichen échevelé. Plus de géraniums aux fenêtres ni d'e-mails et de réseaux sociaux. Désormais, la rocaille règne.
«Welcome to the peaceful lodge and restaurant», «Ama Dablan View». Chaque construction est une auberge: empilements de pierres granitiques, glanées dans le sol et taillées du matin au soir par des silhouettes accroupies, pieds nus, marteau dans une main et burin dans l’autre. Le vent frôlait les oreilles, l’air séchait la peau. Et le ciel était blanc.
Je marchais en silence. Mais le vent se répétait et la rivière balbutiait. Des porteurs s’étaient arrêtés sur le bord du chemin. Ils avaient sorti un attirail de marcheur connecté et ont déroulé leur playlist personnelle. Des chants népalais, des «Om Mani padme hum» électros et un tube des Eagles dans un hôtel californien. Alors, le poids du sac ne m’importait plus, les 4000 mètres qui me séparaient de la mer non plus. Il me restait juste assez d’oxygène dans les veines pour esquisser quelques pas de danse sur la mousse asséchée du Khumbu.
J’ai l’appétit du yéti. Souvent, avant de manger, j’avale une barre chocolatée pour me donner de l’énergie. Mon estomac est un puit sans fond. Le rythme de la vallée s’est insinué dans mes veines. Je marche tout le jour d’un pas lent dès le petit matin. Je ne fais plus la moue quand il faut amorcer un détour pour dépasser le chorten par la gauche. Au contraire, je culpabilise si je ne m’y plie pas. J’ai des rituels aussi: poser mon sac dans le coin de la chambre, abandonner mes chaussures de marche à côté, laver mes chaussettes malodorantes puis, après seulement, m’attaquer à mes pieds et à mon visage. Ensuite, je commande un thé au gingembre dans lequel je noie deux cuillerées de sucre brut.